C’est de Californie que vient la meilleure nouvelle du hip-hop estival : avec un album qui ravive les couleurs festives et optimistes du hip-hop originel, Jurassic 5 réanime l’esprit farceur et mélodique de De La Soul. Antidote idéal au devoir de grisaille du rap d’ici, J5 livre un message en fleur : “Le soleil brille […]
C’est de Californie que vient la meilleure nouvelle du hip-hop estival : avec un album qui ravive les couleurs festives et optimistes du hip-hop originel, Jurassic 5 réanime l’esprit farceur et mélodique de De La Soul. Antidote idéal au devoir de grisaille du rap d’ici, J5 livre un message en fleur : « Le soleil brille aussi dans le ghetto. »
Montez le son, claquez des doigts, dévissez vos hanches et souriez : avec Jurassic 5, l’esprit hip-hop old-school renaît enfin de ses cendres, rayant d’un seul coup une décennie de noirceur. « Notre nom est un hommage aux pionniers du hip-hop tels Treacherous 3 et Fantastic 5, mais c’est aussi un clin d’oeil au Jurassic Park de Spielberg », explique Chali 2Na, la voix de basse au physique de basketteur du groupe de Los Angeles. « Comme les dinosaures du film, nous représentons une espèce disparue depuis des lustres et soudainement ressuscitée. » La mission de Jurassic 5 : « Revenir à l’essence du hip-hop, à la vibration festive des débuts. » En clair, renouer avec la fièvre d’une époque où l’industrie du rap restait à inventer et où toutes les disciplines du hip-hop MC’ing, DJ’ing, graffitti et breakdance se nourrissaient encore les unes les autres. Ressusciter ces jours bénis encore vierges de tout gangsta-rap et de rivalité Côte Est-Côte Ouest, quand les joutes verbales ne se terminaient pas dans le sang et que les artistes se mesuraient encore à leurs pairs dans les parcs, devant un public exigeant dont les acclamations et non pas les chiffres de vente demeuraient le seul baromètre auquel se fier. Une ère candide tout entière tendue vers la créativité, puisqu’il ne pouvait y être question de profits immédiats mais seulement d’amour de l’art et d’une soif de reconnaissance. « Nous sommes restés de vrais B-boys, souligne DJ Nu-Mark. Nous restituons, en le modernisant, ce qui nous a été transmis par les anciens. Nous disons stop aux flingues, à la drogue. Nous voulons que le public avale ses céréales et démarre du bon pied le matin en écoutant notre disque. » « Le soleil brille aussi dans le ghetto, insiste Mark 7. Bien des gangsta-rappers n’osent pas avouer qu’ils ont passé les meilleures années de leur vie dans le ghetto. Nous, nous n’avons pas honte de dire « Eclatez-vous » tout en délivrant un message consistant. Notre travail, c’est de se concentrer sur le positif et d’atteindre l’équilibre entre entertainment et conscience. »
Si le sextette contrairement à ce qu’annonce leur nom, les Jurassic 5 sont six (les MC’s Chali 2Na, Mark 7, Akil, Zaakir et les deux DJ’s-producteurs Nu-Mark et Cut Chemist) se pose en héritier direct des pionniers, il revendique aussi des influences plus récentes, comme Run DMC, Main Source et De La Soul. C’est d’ailleurs ces derniers que l’on évoquera en priorité pour les définir. Non pas que leur style soit une copie conforme des auteurs de Three feet high and rising, mais plutôt parce que le sentiment jubilatoire dès la première écoute renvoie à l’irrésistible bain de fraîcheur ressenti lors des débuts de De La Soul il y a neuf ans. Comme eux, Jurassic 5 constitue une réjouissante alternative aux conventions en vigueur le culte des grosses chaînes en or et l’arrogance que raillait De La Soul en 1989 n’a pas beaucoup changé, puisqu’il s’agit toujours de combattre le matérialisme clinquant, accompagné aujourd’hui de cynisme et d’une noirceur abyssale et choisit d’exprimer davantage ce qui vient de l’intérieur que de dresser le constat de la (triste) réalité environnante De La Soul appelait cela Da inner sound y’all, hélas aussitôt phagocyté en gentillet D.A.I.S.Y. age pour revival hippie à pâquerettes. Enfin, comme De La Soul, Jurassic 5 semble bien parti pour rencontrer le grand public tant sont entêtantes ses mélodies pour garnements de cour de récré des airs à la flûte comme celui de Jayou se fredonnent, sourire aux lèvres, du matin au soir , même s’ils risquent une fois de plus de déranger les puristes du front hardcore. « Nous sommes très honorés d’être comparés à De La Soul mais nous n’oublions pas que ces innovateurs ont été longtemps incompris : à leurs débuts, certains leur reprochaient de n’être pas assez durs. Nous risquons de nous heurter aux mêmes résistances », prophétise Zaakir.
Pourtant, si ces dinosaures ont mis du soleil et de la bonne humeur dans leurs textes jeux de mots savoureux et références espiègles abondent , ils n’ont pas abdiqué pour autant. Loin de se contenter de prendre le contre-pied du matérialisme ambiant ce qui donnerait à peu près « Je n’ai ni piscine, ni montre coûteuse, ni Mercedes et je croupis dans un gourbi crasseux, donc je suis authentique » ils renient les lamentations et posent les bonnes questions. Ici c’est « Je vis en Amérique mais merde à ce gouvernement », là « Je me demande si tous ces rappers durs à cuire savent seulement ce que ça peut faire/De dédier sa vie à ce micro de fer/Ce n’est pas une affaire de blé/Ce n’est pas ça l’authenticité ». L’allégresse et l’humour contagieux déployés dans les paroles se doublent d’une originalité malicieuse dans le choix des samples, musardant avec aplomb aussi bien du côté de Marley sur Jayou, une flûte joue un Get up stand up décalé ou de la disco Concrete schoolyard revisite le classique Rock the boat de Hues Incorporation. L’influence de Prince Paul, le fantasque producteur de De La Soul, est particulièrement criante sur les interludes signés DJ Nu-Mark et Cut Chemist, construits autour d’extraits de leçons de chimie préhistoriques et de modes d’emploi obsolètes et poilants pour heureux détenteurs de tourne-disques.
Oeuvrant pour une résurrection du souffle hip-hop originel, Jurassic 5 n’empeste pas la naphtaline pour autant : ici, garder un oeil dans le rétroviseur n’a jamais rendu sourd au présent et n’interdit pas de définir le futur. Les deux DJ’s-producteurs,« turntablists » revendiqués, s’y entendent pour composer l’effervescence funky et bon enfant des titres rappés, mais démontrent aussi une science digne des DJ’s chamanes les plus en vue dans le hip-hop, tels que X-Ecutioners, Invisibl Scratch Picklz ou DJ Shadow dont Cut Chemist a brillamment remixé The Number song pour les deux véritables instrumentaux de l’album, saturés de références et de détails loufoques. Sur l’irrésistible Lesson 6: The Lecture, Cut Chemist (actuellement courtisé de très près par les majors) saute du coq à l’âne sans sourciller. On l’entend malaxer des dizaines de disques dans sa moulinette magique on jurerait y entendre la voix d’Hendrix parler (déjà !) de « beats » et même l’écho de rythmes troubles et ralentis à la DJ Shadow , poussant même l’audace jusqu’à poser la question cocasse d’un hybride possible entre Led Zeppelin et Sinatra. Surtout, sa rigueur magistrale préférera toujours offrir le visage gourmand du novice à celui, trop sérieux, de l’exhibitionnisme technique.
Le style ludique et passionnant de Jurassic 5 ne s’est pas créé en un jour. Auteur d’un premier single prometteur en 1995, Unified rebelution, le sextette résulte de la combinaison de deux groupes : d’un côté les Unity Commitee, réunissant Mark 7, Chali 2Na et Cut Chemist ces deux derniers étant aussi graffeurs , de l’autre les Rebels Of Rhythm avec les MC’s et danseurs Akil et Zaakir. C’est au mythique Goodlife Café de South Central, le tremplin de l’underground angeleno qui a vu notamment débuter les Pharcyde, Freestyle Fellowship, Ras Kass, Snoop Doggy Dogg, Rage et Skeelo , que les deux groupes se sont rencontrés à l’aube des nineties, recrutant au passage le DJ Nu-Mark. « Le Goodlife était un endroit idéal pour évoluer, travailler ses rimes, nouer des relations. En exposant les MC’s à un public averti, il permettait non seulement de prendre confiance en soi mais aussi d’élaborer un show », se souvient Akil. Un début d’explication pour l’énergie remarquable du groupe sur scène, d’ailleurs intelligemment restituée sur l’album. A Brighton, le mois dernier, Jurassic 5 faisait salle comble, démontrant un talent rare pour l’improvisation, alternant dialogues avec le public, plaisanteries, clins d’oeil aux héros Run DMC ou Grandmaster Flash, vocalises moelleuses héritées du doo-wop, beatboxes à l’ancienne et interludes consacrés aux deux DJ’s « We takin’ four MC’s and make it sound like one/And together we show you how to improvise/ Reminiscent of the wild style 75 » (« A quatre voix qui ne font qu’une/On va vous montrer comment improviser/En souvenir du style sauvage de 75 »). Près de deux heures de feu d’artifice hip-hop loin du minimum syndical se résumant trop souvent à deux MC’s au regard féroce marchant de long en large devant un DJ potiche censé faire oublier le lecteur de DAT. Chez Jurassic 5, on a été à bonne école : tous racontent avec la même ferveur leurs premiers concerts en tant que fans, ceux de LL Cool J dont ils ont récemment assuré la première partie devant un parterre exclusivement féminin ou de Run DMC, « qui donnaient leur maximum sur scène, mimant leurs rimes avec une dimension théâtrale car les clips vidéo n’existaient pas encore ».
Car ici, on a défini l’ennemi : les clips vidéo et ce qu’ils appellent pudiquement « la terrible maladie que l’industrie a inoculée au hip-hop » un business dont ils tentent de se tenir à l’écart par tous les moyens. « L’industrie a extrait le rap de la culture hip-hop pour en tirer profit. Notre mission est de soigner le hip-hop en ramenant le rap au bercail et en évitant désormais de laisser aux autres le soin de s’occuper du bébé. » On ne s’étonnera donc pas que Jurassic 5, en père attentionné, fasse partie de cette nouvelle vague de groupes indépendants américains logés à la plus belle des enseignes : la leur (le label Rumble). Une annexe de la old-school, dont la meilleure cour de récréation se trouve, avec l’euphorisant Concrete schoolyard, sous la garde espiègle de ces dinosaures de bande dessinée.
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