1980 : à Birmingham, un ours mal léché à la moustache petite frappe tente de réanimer la soul-music. Une compilation, It was like this, se souvient de ce jour crucial où Kevin Rowland et ses intouchables Dexys Midnight Runners firent passer un souffle terrible dans les cuivres rouillés, donnant au rock anglais l’un de ses […]
1980 : à Birmingham, un ours mal léché à la moustache petite frappe tente de réanimer la soul-music. Une compilation, It was like this, se souvient de ce jour crucial où Kevin Rowland et ses intouchables Dexys Midnight Runners firent passer un souffle terrible dans les cuivres rouillés, donnant au rock anglais l’un de ses infatigables chefs-d’œuvre : Searching for the young soul rebels.
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On conseillera à nos pires ennemis les mois d’hiver à Birmingham, riante cité facilement repérable sur la carte des supplices infligés à l’humanité, quelque part entre le tabouret et la corde, dans le ventre industriel de l’Angleterre. En 1978, les architectes avaient achevé leurs basses besognes entamées vingt ans plus tôt et la ville ne ressemblait déjà plus qu’à un amas de ferraille et de pierres sans noblesse, ses habitants à des zombies minuscules déglutis par les usines métallurgiques, écrasés sous la chape d’un ciel bas et verdâtre. Pas étonnant qu’un tel décor ait vu naître les Dexys Midnight Runners au lieu de, mettons, Kid Creole & The Coconuts. Kevin Rowland a 24 ans lorsqu’il songe à bâtir un groupe dont l’image et les actes seront semblables à ceux d’une faction armée. Un groupe en rupture totale avec le punk finissant et la new-wave balbutiante. Avec le second souffle fracassant de Clash, la maturité de Jam, l’arrivée, via la petite porte du revival ska, des immenses Specials de Coventry, les Dexys représenteront sur la foi d’un seul album le coup de semonce sans lequel le passage d’une décennie à l’autre n’aurait pas eu tout à fait le même sel. London calling, Setting songs, The Specials et Searching for the young soul rebels : une rafale infligée sans regret au cadavre du punk, l’ultime sursaut avant longtemps d’un orgueil typically english. Le punk, Rowland y a tâtonné quelques mois au sein des Killjoys, dont le souvenir s’est arrêté aux limites des terrains vagues qui ceinturent Birmingham. Auparavant, échappé du giron familial à 17 ans, il a pas mal bourlingué : Clacton, Glasgow, Aviemore, Liverpool… Il a même été coiffeur, a gâché quelques années au sein d’une communauté hippie et a joué de la guitare dans le groupe country & western de son frère aîné. De janvier à juillet 78, il se pose enfin pour tracer les grandes lignes de sa première expérience ambitieuse : faire revivre à l’Angleterre les glorieuses années Northern soul tout en esquivant l’écueil de la nostalgie. Pour cela, les Dexys rafraîchiront l’aspect du danseur type des ballrooms des sixties, du coureur de Dexedrine, cette amphétamine très prisée des mods qui donnera son nom au groupe. Des tenues empruntées aux dockers italo-new-yorkais du Mean streets de Scorsese feront l’affaire. Rowland recrute sept hommes de main aux alentours de Birmingham parmi lesquels Al Archer, guitariste transfuge des Killjoys et leur signale son projet de partir avec leur aide à l’assaut d’une montagne. On doit se souvenir qu’à la fin des seventies, personne hormis peut-être le solitaire Al Green n’entendait plus le mot soul de cette façon. Le disco ou le funk avaient depuis longtemps transformé la fièvre originelle en maladie chronique du samedi soir, et les usines à hits de Memphis, Philadelphie ou Detroit voyaient leurs meilleurs ouvriers capituler un à un face aux lois de ce sinistre marché. Rowland, blanc-bec perdu dans la grisaille, eut pourtant la prétention de faire renaître à lui seul une musique disparue depuis des lustres. Cinglant, péremptoire, limite mégalomane : la réputation de mauvais coucheur de Rowland se propage alors à travers Birmingham comme une traînée de poudre. Son talent de mélodiste et de chanteur, comme son charisme de chef de gang aussi. Il conjugue en quelques mois le doux privilège d’être à la fois le personnage le plus détesté et le musicien le plus respecté de la ville.
Le premier single, Dance stance, sort chez Oddball, le label de l’ancien manager des Clash, le très controversé Bernie Rhodes avec qui Rowland ne tardera pas à se frotter. La chanson s’en prend au racisme des Anglais vis-à-vis des Irlandais ses parents sont d’origine irlandaise , ce qui suffit à lui fermer l’accès des ondes nationales. Rowland signe alors un contrat avec EMI et dégoupille sa meilleure grenade : Geno un hommage au chanteur soul Geno Washington, thème nettement plus consensuel , qui se retrouve en mai 80 seul au sommet des charts anglais. A partir de là, le même schéma détaillé plus haut se reproduit à l’échelle nationale : la presse londonienne loue le génie de Rowland mais fustige parallèlement son tempérament d’ours. Dans l’une des rares interviews qu’il accorde au NME, en juin 80, Rowland lâche entre autres salves vipérines : « A l’école, j’adorais l’anglais mais je détestais tout le reste. A un stade particulièrement stupide de ma vie, j’ai voulu devenir journaliste. » Ambiance. Pour la sortie du premier album, il donne encore une dernière interview à chaque journal, pour annoncer que, dorénavant, ils pourront tous se brosser en chœur pour lui parler. A la place des traditionnelles annonces publicitaires pour vanter ses disques, Rowland choisit de publier ses propres réflexions sur l’état du monde en général et de la musique en particulier. Mais Searching for the young soul rebels est un brûlot à l’aune duquel les délires paranos du leader des Dexys font figure de flammèches. La chronique de Danny Baker dans le NME résume à merveille l’état d’esprit partagé par toute la presse de l’époque : « Mon envie épidermique : balancer ce disque par la fenêtre du neuvième étage. Ma réaction objective : Bon Dieu, quel album phénoménal ! » Avec son appel à l’insurrection artistique Burn it down, nouveau nom du sulfureux Dance stance qui ouvre le front à la hache, on devine vite que rien ne résistera à cette lourde charge de cuivres chauffés à blanc, d’orgues à la barbarie sournoise, de rythmiques martiales qui font corps autour de la voix exaltée du chef. Non seulement Rowland mais aussi Archer, responsable à l’époque de toutes les musiques parviendra à rallumer de façon intacte la flamme soul des Otis, Aretha ou Cliff Bennett, mais il réussira surtout à en user comme détonateur d’une rébellion sociale qui aura son importance aux prémices du combat anti-Thatcher, cette obsession qui deviendra celle de tout le rock anglais les années suivantes. D’autres groupes du revival soul britannique apparus à la même époque les Q. Tips de Paul Young ou Red Beans And Rice n’auront jamais, faute d’avoir adapté leurs propos aux réalités du moment, le même impact ni la puissance de feu des Dexys. A l’instar de sa fameuse pochette, Searching for the young soul rebels évoque de bout en bout un état d’urgence, de guerre civile, de soulèvement populaire. Seize ans après, la compilation It was like this qui regroupe tous les enregistrements EMI, à savoir le premier album ainsi que les fantastiques face B des singles insiste sur le caractère à fleur de nerfs de ces dix-huit chansons, photographies prises sur le vif qu’il aurait été vain de vouloir reproduire en série. Avant même la sortie de Searching for the young soul rebels, Rowland avait d’ailleurs prévenu que le second album serait entièrement différent du premier. En mars 81, il se sépare sans ménagement de six musiciens, dont certains iront fonder The Bureau, un sous-Dexys qui ne durera pas plus d’une paire de singles. Le tromboniste Big Jimmy Patterson, seul rescapé de cette nuit des longs couteaux, devient alors le nouvel homme de confiance. Rowland en profite pour annoncer que l’alcool sera désormais interdit durant les concerts du groupe, rebaptisé au passage Kevin Rowland & The Dexys Midnight Runners. Le divorce avec EMI et le transfert chez Mercury sont annoncés après quelques mois d’une âpre bataille et les Dexys nouveaux entament avec le guilleret Show me une lente mutation. Cette période d’indécision, marquée par de nouveaux mouvements de personnel l’arrivée de The Esmeral Express, une section de cordes celtiques , mène jusqu’à Too-rye-ay, second album écrit en collaboration avec Jim Patterson, qui démissionnera pourtant à son tour dès sa sortie en 82 sans encaisser les dividendes, écœuré par les agissements monomaniaques de son leader. Le nouveau look mi-gitan, mi-pêcheur de moules signe clairement la fin des Dexys première époque et le commencement de l’ère Celtic soul. Jusqu’à la récente annonce d’un nouvel album solo en préparation pour Creation, Rowland aura lentement disparu du circuit : après le succès mondial de Too-rye-ay et de son inusable Come on Eileen qui se classera numéro un des deux côtés de l’Atlantique, il reviendra déguisé en prêcheur mormon pour le très dispensable troisième et dernier album du groupe, Don’t stand me down, en 85. The Wanderer, le premier album solo de Rowland en 88, souffrira d’une production sans caractère et on n’entendra plus parler de lui jusqu’en 92. A cette date fut annoncée une reformation des Dexys, avec le retour de Jim Patterson aux commandes. Quatre titres furent alors enregistrés mais jamais exhumés. On ignore à ce jour ce que sont devenus Manhood, If I ever ou You’re the rose. On regrette surtout de n’avoir jamais pu jeter une oreille au très prometteur My life in England (Margaret), à coup sûr le meilleur résumé de tout ce qui précède.
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