Autrefois bordéliques, casse-cou et furieux, les Anglais d’Is Tropical mettent un peu d’ordre dans leurs chansons, qui osent enfin une pop éclatante et radieuse. Ne reste plus qu’à passer chez le coiffeur. Critique et écoute.
Ceux qui ont vu les concerts exubérants, frénétiques et bordéliques des Anglais d’Is Tropical le savent déjà : le trac, c’est pas leur truc. Le troc, par contre… “Pendant nos premières années, on était rarement payés. On jouait contre un peu de drogue, d’ecstasy surtout.” Ces jeunes années, Is Tropical – qui ne s’appelait pas encore Is Tropical – les dilapida à toute berzingue en jouant un punk-rock véloce, musique de fuite en avant – en sprintant. Avant que le groupe ne perde deux membres et gagne un nouvel ami : un synthétiseur, acheté par correspondance aux Etats-Unis, dont le but était d’étoffer, de sophistiquer le son, d’être moins dans l’urgence et l’électricité, “de ressembler aux premiers Madonna”.
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Sauf que… “Le jour où nous l’avons reçu, on était si excités qu’on l’a branché tout de suite. On n’avait pas réalisé que le courant aux States, c’est du 110 V, pas du 240… Ce synthé n’a fait qu’un son dans sa vie : psssscccchhttt. Puis il s’est mis à fumer.” Qu’importe : la révolution est en marche, d’autres synthés viendront étoffer cette pop de traviole, la structurer un peu, jusqu’à ce que le groupe, fier de son hybride, décide de contacter quelques labels.
Le trio signera chez les Parisiens chic de Kitsuné après son presque tube de 2010, When O’ When, éclaireur d’un album pressé, suffocant même parfois, mais toujours coloré, joyeux, insoumis, largement aidé à la propagande virale par la vidéo de The Greeks, signée des Français de Megaforce. La force, déjà, d’Is Tropical, sur cet album Native To, c’est de transbahuter en permanence une ménagerie de sons et d’idées incongrues, parfois incompatibles sur le papier. Une manie du dérangement qui remonte à l’enfance, sauvée du chaos par la grâce de skate-boards et de quelques vinyles. “On vient tous des cités ouvrières de Bournemouth. Si on n’avait pas eu le skate puis les vinyles du Wu-Tang ou des Strokes, on serait devenus comme nos copains d’alors : mariés à 18 ans, dans le crack ou en prison.”
De cette cité, il fallait fuir. Simon Milner, Gary Barber et Dominic Apa, qui se connaissent depuis l’école, partent en même temps pour Londres, apprennent vaguement à tenir un instrument, vivent de squat en squat. “Tout le monde était pauvre mais artiste, dans la mode, la performance, l’art, l’image ou la musique : on s’échangeait les idées, les plans, les services. Comme des francs-maçons. Aucun de nous n’était un gosse de riche, on avait faim, on n’avait pas le choix. D’où notre obstination.”
Petit à petit, d’un punk-rock ivre 24 heures sur 24, le groupe évolue, s’émancipe. Dans son squat, il n’a rien d’autre à faire que de jouer, encore et toujours, sacrifier tout le reste, tenter d’approcher la pop. “Si on jouait punk, c’était par incompétence. Au fond de nous, on a toujours adoré la pop. Quand on tourne en France, on écoute Radio Nostalgie dans le van !”
Mais pour aller plus loin encore vers la pop, il y a un mur. Les garçons se connaissent depuis leurs 14 ans, serrés comme un poing, comme un gang : la distance nécessaire pour offrir une sortie de secours, une évasion ne pouvait venir que d’un corps extérieur. Ça sera Luke Smith, qui en a vu d’autres pour avoir géré le son et aussi les carnages internes de groupes aussi compliqués que Depeche Mode ou Foals.
Il condamne Is Tropical à une discipline spartiate, force les branleurs effarés à jouer et rejouer leurs partitions, à ne plus se dissimuler derrière la seule énergie. Eux qui, des pochettes aux T-shirts, se révèlent control freaks absolus, se retrouvent soudain dirigés, éduqués. C’est la stupeur, c’est le bonheur. “On avait toujours enregistré quasiment en live, tout était décousu, naïf, à fond… Là, Luke a commencé par nous demander de jouer chaque chanson à la guitare sèche pour évaluer si elles résistaient à ce test. Il nous a sidérés par sa précision, sa science. Il nous a montré comment épurer, jeter, trier, réduire un rythme à une équation. Chaque jour, nous apprenions quelque chose, c’était comme revenir à l’école.”
Mais plus que le studio, outil mystérieux et un rien laborieux pour le groupe, c’est la scène qui continue d’informer ces chansons. Is Tropical raconte ainsi avec les yeux humides ses concerts à Caracas ou, récemment, en Mongolie. “Ce sont des endroits où les petits groupes anglais ne vont jamais et du coup, le public est très reconnaissant. A Oulan-Bator, ils connaissaient nos paroles par coeur. On s’est retrouvés à faire un DJ set dans les steppes de Mongolie avec des nomades ou à distribuer des cadeaux aux enfants d’un orphelinat, ça a changé ma vie, je le sens…” L’album s’appelle I’m Leaving, “J’me tire”. On pensait qu’il s’agissait de choix musicaux : on parle aussi de choix de vie.
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