Poursuivant son œuvre de restauration du chant traditionnel breton, Denez Prigent déploie ses visions où se croisent sombres présages et vigueurs religieuses. Bretagne C’est le chapeau à la main qu’on est emporté par le caractère liturgique du chant profond d’Irvi, troisième épisode de l’œuvre de restauration du chant traditionnel en langue bretonne entreprise par Denez […]
Poursuivant son œuvre de restauration du chant traditionnel breton, Denez Prigent déploie ses visions où se croisent sombres présages et vigueurs religieuses.
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Bretagne C’est le chapeau à la main qu’on est emporté par le caractère liturgique du chant profond d’Irvi, troisième épisode de l’œuvre de restauration du chant traditionnel en langue bretonne entreprise par Denez Prigent. Le contre-chant poignant de Lisa Gerrard et les uileann pipes chagrines de Davy Spillane apportent une qualité douloureuse et surnaturelle à Gortoz a ran, le tube potentiel par lequel débute cet album, où gwerz et kan ha diskan s’enchaînent avec une discipline mathématique. Il est permis de danser, mais il n’est pas non plus défendu de décliner simultanément quelque prière sur son rosaire tant les chansons lentes semblent avoir été inspirées par les cantiques médiévaux du type Ar baradoz. En dépit du propos profane, la langue est sacralisée de façon explicite par la rédaction exclusivement en breton du livret. C’est ainsi que seuls deux titres bénéficient d’un sous-titrage en français : les Chas ruz, qui stigmatisent l’occupation chinoise du Tibet, et les apocalyptiques Daouzek hunvre-Douze rêves doublés en français par Bertrand Cantat
et en free-jazz par Louis Sclavis. Il est exigé de l’auditeur qu’il se laisse emporter tout entier par la musicalité de la langue bretonne, une langue que Denez Prigent fait chanter même lorsqu’il se contente de la parler. L’intention est esthétisante et militante : elle exige l’entière attention de l’auditeur et sollicite de sa part l’abandon de toute idée reçue concernant le caractère exotique d’un idiome qui perd ses locuteurs d’origine pour en trouver de nouveaux… qui le privent de son accent tonique et par là de sa musique intérieure… Immergé dans l’art de la gwerz, Denez Prigent construit ses chansons à l’aide de néologismes immuables qu’il adapte à un contexte contemporain, voire intemporel, presque irréel. Pourtant, l’usage de la technologie se fait plus discret que dans Ur fulenn aour. Il auréole les vocaux de murmures secrets ou scande de façon synthétique
les kan ha diskan. Il se plie aux exigences du chant et ne submerge pas les instruments traditionnels. Les dix passerelles que Denez Prigent a bâties sont similaires aux irvi ou à la hent eon (chemin d’écume) qui baptisent son album, irrémédiablement recouvertes par la marée. Elles sont des guets d’où sourd un sombre tourbillon métaphysique.
Elles ne sont pas un recueil de chansons apaisées. Exception faite d’Evit netra, intermède insouciant et ludique, elles sont un catalogue des visions tourmentées qui hantent leur auteur. Il y a sur Irvi presque autant de chansons qu’il existe de commandements. L’avidité, le cynisme politicien, la jalousie, le génocide sont impitoyablement fustigés dans des fabliaux et des eaux-fortes allégoriques. Mais le visionnaire est modeste et l’artiste humble : animé par un souffle extraordinaire, il attend de se laisser souffler à son tour par quelque haleine à la nature céleste. « Gortoz a ran », dit-il, « J’attends »…
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