La chanteuse malaisienne nous raconte sa collaboration avec Usher et Jhené Aiko ainsi que son statut de femme musulmane au sein de l’industrie musicale américaine.
Quand on pense à la scène musicale de Los Angeles, où elle s’est récemment installée, Yuna n’incarne pas vraiment le stéréotype de la chanteuse locale. Dans ce secteur où les productions survoltées et la nudité des corps sont souvent de mise, cette jeune femme de 29 ans originaire d’Alor Setar en Malaisie dénote par la sérénité de sa musique, par la vulnérabilité de ses paroles, mais aussi par son look, étudié dans le respect de sa religion, l’Islam.
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Avec cette identité singulière, loin des clichés made in L.A., Yuna est parvenue à séduire l’un des labels les plus pointus du moment, Fader (du magazine The Fader), et l’un des artistes les plus convoités du monde, Pharrell Williams. Sur son troisième album Chapters, sorti en mai 2016, elle a même enrôlé le grand Usher pour une ballade sensuelle et nostalgique. Rencontre.
Tu as récemment quitté la Malaisie pour t’installer à Los Angeles. Comment se passe ta nouvelle vie ?
Yuna : Plutôt bien ! J’ai déménagé à L.A. car The Fader a proposé de me signer, et c’était une superbe opportunité pour moi. J’adore chanter en anglais, mais en Malaisie, ça ne prenait pas vraiment, les gens préféraient que je chante en malaisien. J’avais besoin de partir pour voir comment ma musique serait accueillie ailleurs.
Qui sont les artistes qui t’inspirent au quotidien ?
Il y en a beaucoup ! J’adore Frank Ocean, j’écoute Blonde en boucle en ce moment (Yuna avait repris Thinking About You en 2012, NDLR). Il y a quelque chose d’avant-gardiste dans sa musique, qu’il est le seul à pouvoir faire. Si tu essaies de le copier, ça ne sonnera jamais pareil. Il y a aussi quelque chose de très pur, de très vulnérable dans son écriture… quand tu l’écoutes, tu sais qu’il chante pour lui-même et pour personne d’autre. Surtout pas pour vendre.
Tu sembles avoir la même approche avec ta musique. Ton dernier album, Chapters, est très personnel, très intime, tu y parles notamment d’une rupture douloureuse…
Oui c’est vrai. Cet album m’a permis de me trouver. Après ma rupture, je suis partie à Los Angeles pour commencer un nouveau chapitre de ma vie. J’ai appris à mieux me connaître, à mieux m’apprécier, en retrouvant mon indépendance par le bais de gestes assez banals, comme avoir mon propre appartement, ou conduire seule dans la ville (ce que je n’avais jamais fait jusque-là). Chapters parle de cette nouvelle Yuna. Mais en même temps, je crois que beaucoup de femmes peuvent s’y identifier.
Pour cet album, tu as entre autres collaboré avec Jhené Aiko. Quelle est votre relation ?
Jhené est une chanteuse incroyable, je l’admire beaucoup. Quand je suis arrivée à L.A., je me suis rendue compte qu’on avait beaucoup d’amis en commun, et donc on a naturellement décidé de travailler ensemble. Nous avons beaucoup de points en commun, tout en étant très différentes. La façon dont elle écrit sur sa vie par exemple est beaucoup plus franche et agressive que la mienne. Mais en faisant cet album, j’ai eu l’impression de pouvoir parler à travers elle. C’est dur à expliquer mais…
Elle t’a permise d’aller chercher plus loin dans tes émotions ?
Exactement. Quand on a écrit Used to Love You, elle a demandé à mon producteur : « Quelle genre de phase Yuna est-elle en train de traverser ? », et il a répondu : « Oh, elle vient juste de rompre. » Et elle était là : « Ok ok, n’en dis pas plus ! » (Rires) Et tout de suite, elle a écrit : « Used to love, used to care » (Yuna fredonne, ndlr) et c’était génial ! Parce que ce sont des mots que je n’aurais jamais osé chanter. Avant Jhené, ça aurait été trop direct pour moi, trop personnel, je me serais demandé ce que mon ex allait en penser. Mais avec elle, j’ai eu du courage. J’ai découvert mon côté impertinent.
Qu’en est-il d’Usher, que tu as clairement ressuscité avec le morceau Crush ?
(Rires) En écrivant Crush, je me suis rendu compte qu’il manquait quelque chose. C’était une belle chanson, mais il manquait un truc, une voix masculine. Deux mois avant cet épisode, j’avais rencontré Usher, il voulait qu’on se voie pour discuter – et comme je suis une grande fan, j’ai bien évidemment accepté. Il était très cool, les pieds sur Terre, et il m’a dit que si j’avais quelque chose pour lui, il serait ravie qu’on collabore.
Et donc j’avais finalement ce quelque chose avec Crush. Je lui ai proposé, il a dit oui, et voilà… Quand j’y pense, c’est encore bizarre de me dire que j’ai fait ça avec lui, car c’est un immense artiste.
À côté de la musique, tu as aussi un pied dans la mode, puisque tu as lancé ta propre ligne de vêtements. C’est un univers que tu aimerais explorer davantage ?
Oui, j’adore la mode ! J’ai mon propre e-shop, November Culture, et je viens effectivement de sortir ma ligne de vêtements avec mon ami Hatta Dolmat : Hattayuna. Notre première collection, qui est mixte, est très florale, on a fait grand défilé à Kuala Lumpur pour la présenter. J’espère pouvoir créer d’autres collections dans le futur.
Il y a eu beaucoup de polémiques récemment sur la façon dont les femmes devraient selon certains s’habiller, notamment en France avec le burkini. Toi qui te couvres les cheveux et le corps, as-tu déjà été confrontée à ce genre de situations ?
Je trouve ces polémiques tellement étranges… Mais jusqu’ici, heureusement, je n’ai jamais eu à me confronter à ça. Les temps sont difficiles pour les femmes musulmanes. Malgré tout, nous souhaitons conserver nos valeurs et notre liberté, car notre corps n’appartient qu’à nous. Ça ne vaut pas seulement pour les musulmanes d’ailleurs : c’est vrai pour toutes les femmes ! Et c’est important de reconnaître ce droit aux femmes, le droit de pouvoir porter ce qu’elles veulent.
Certaines seront à l’aise avec le fait de découvrir leur peau, et d’autres au contraire seront plus à l’aise en la couvrant, comme moi. Dans tous les cas, les gens n’ont pas à contrôler le corps des femmes. S’ils nous prennent ça aujourd’hui, que vont-ils nous prendre demain ?
Comment te sens-tu, en tant que femme musulmane, au sein de l’industrie musicale américaine ?
Écoute, jusqu’ici je me sens comme toutes les autres pop stars, mais avec un peu plus de vêtements. D’autant plus qu’il y a d’autres femmes auxquelles je peux m’identifier, et pas forcément des femmes musulmanes. Regarde Adèle par exemple : elle est belle, à l’intérieur comme à l’extérieur, elle chante merveilleusement bien, et elle n’a pas besoin d’en dévoiler plus. Lors de ses concerts, elle se tient seule sur scène, avec sa voix et ses longues robes, et les gens deviennent hystériques ! Mais attention, je ne suis pas contre le sex appeal, il y en a toujours eu dans l’industrie musicale, et c’est très bien comme ça.
En tout cas, je constate qu’aujourd’hui, il y a une vraie place pour les gens comme moi, Adèle ou Norah Jones. J’ai envie d’attirer les gens qui aiment vraiment la musique et qui peuvent se contenter de cela. J’ai envie de montrer aux jeunes filles qui me regardent qu’elles peuvent réussir tout en restant fidèles à leurs valeurs. Qu’elles n’ont pas à sacrifier leur identité pour devenir une pop star. Finalement, le vrai défi dans cette vie, c’est de rester qui tu es.
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