Jamaica est de retour avec « Ventura », un deuxième album que le groupe viendra présenter sur scène mardi et mercredi soirs à Paris (Boule Noire). On a rencontré Antoine et Florent pour évoquer l’enregistrement du nouveau disque et parler du plus grand sportif de tous les temps, de Daft Punk, du phénomène Fauve ≠ et de la notion d’honnêteté dans la musique. Une histoire de coup de coude traîne entre les lignes de l’entretien.
Sur votre album il y a une chanson surprenante, Rushmore. Presque un slow eighties avec des synthés old-shcool… Un peu dans la ligne de ce qu’a fait Phoenix sur Bankrupt!.
Antoine : Ce titre était un peu un défi car c’était notre première ballade au piano. On n’avait pas encore entendu le disque de Phoenix mais c’est vrai qu’on peut faire un parallèle entre les deux. On pensait plus à des groupes comme 10cc en l’enregistrant. Mais c’est un bel hommage que les gens nous rapprochent de Phoenix. C’est leur sixième album, ils sont là depuis plus de quinze ans avec des morceaux dingues et ils sont de plus en plus forts. On les connait très peu mais on a eu le temps d’observer que ce sont des mecs qui bossent énormément et qui gardent modernité et élégance comme maîtres mots depuis le début de leur carrière.
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Ce qui tranche avec Phoenix et avec votre premier album, c’est le caractère évolutif des morceaux.
Antoine : On s’est dit qu’on n’avait aucune limite de style pour cet album et on a vraiment essayé des tonnes de morceaux. Au final on a choisi ceux qui nous semblaient être les meilleurs.
Florent : Il y a quand même une volonté d’écriture qui a changé. On a fait plus attentions aux progressions d’accords par exemple.
Antoine : Ouais, peut-être que les morceaux sont moins basés sur les riffs. Souvent, on commençait à jouer un morceau puis on revenait en arrière pour écouter la partie qu’on avait enregistrée et lui confronter directement une progression à la guitare. Histoire de voir si ça marchait bien. On ne voulait surtout pas se reposer sur des effets de production pour que les chansons tiennent debout. C’était important de pouvoir les jouer à la guitare acoustique ou au piano.
En parlant de guitares, c’est assez rare d’écouter des albums de pop qui laissent autant de place aux solos. C’était un choix difficile d’oser cette superposition ?
Florent : Pas vraiment. C’était déjà un propos qu’on défendait énormément sur No Problem, le premier album. D’ailleurs on s’était vraiment posé la question à l’époque : « Est-ce qu’on fait des solos ? ». Car en 2010, faire des solos… c’était la hchouma ! Généralement, c’est un truc qui peut être mal vu.
Antoine : C’était un vrai parti pris à l’époque et ça faisait limite partie des règles qu’on s’était imposées. Sur le premier disque, je crois qu’il doit y avoir deux chansons où il n’y a pas de solo. Sur cet album, je pense que tu fais surtout référence au titre Houdini qui a une structure un peu particulière. On s’est senti inspiré au moment de l’écriture et on a voulu tout garder. C’est une démarche qui régit l’album en fait. On a fait très attention à conserver ces moments un peu magiques où on allait un peu loin dans la composition. Le point commun entre les deux albums c’est peut-être cette spontanéité dans l’écriture. Si on veut faire des solos, on ne se pose plus la question, on fonce. Si on a envie de péter un morceau en deux pour l’amener ailleurs, on fait pareil. On sait qu’on a énormément de chance de pouvoir vivre de ce métier : faire des disques. Il faut vraiment que notre musique nous représente à 100% sinon ça ne sert à rien.
Il y a quand même quelques collaborations sur le disque ?
Antoine : Oui, en plus de Peter et Laurent, on a bossé avec Tunde Adebimpe de Tv on the Radio sur le morceau Golden Times. Mehdi Pinson de DVNO a écrit et chanté avec nous sur Goodbye Friday et Guillaume de Maria (de Chateau Marmont) a posé des claviers. Turbo a été écrite avec Camille Clerc, une copine avec qui j’avais un groupe avant en compagnie de Gaspard de Justice. Et puis on a rencontré Chris Caswell, directeur musical de longue date de Paul Williams. C’est Peter Franco qui nous l’a présenté à Los Angeles. Il bossait sur l’album de de Daft Punk et il a accepté de poser des claviers sur certains morceaux !
Florent : Le mec a quand même bossé sur Phantom of The Paradise !
Tu parlais du morceau Turbo, on dirait un peu de l’électro jouée avec des instruments organiques…
Florent : On ne voyait pas du tout le truc comme ça au début mais c’est vrai qu’après avoir entendu le morceau, Xavier et Gaspard nous ont dit qu’il fallait faire tourner le truc en techno pour un remix ou un truc du genre !
Antoine : Alors qu’à la base c’est genre de la post-surf music ce truc. C’est du Dick Dale qui jouerait des notes un peu fausses ! On n’a pas du tout perçu le côté électro mais ça vient peut-être des conditions d’enregistrement : on a pas mal alterné entre les studios et les différents matériels. Du coup ça donne peut-être un aspect hybrides aux chansons.
Vous avez pensé quoi de l’album des Daft. Vous faites partie des déçus ou des excités ?
Antoine : Il y a une chanson que j’adore sur l’album qui est pour moi une des meilleures de leur carrière, c’est le featuring avec Panda Bear. Après c’est difficile pour nous d’avoir du recul sur l’album, Peter Franco sortait de l’enregistrement quand on a débarqué à Los Angeles. Il nous a tellement tout raconté dans les détails… On ne révélera rien de ce qu’on sait sur la façon dont ils ont fait le disque mais les mecs sont des malades mentaux du travail ! Et puis ils ont été d’une gentillesse extrême, car ils nous ont prêté du matériel sur place. On a pris des trucs dans leur studio. Par exemple, la guitare double manche du clip de Robot Rock est sur tout notre album. Donc je suis un peu partisan, forcément. Mais ça fait toujours du bien qu’un groupe français cartonne à ce point-là. Les mecs font ce qu’ils veulent de A à Z. C’est ça qui est dingue et respectable : le courage de leur démarche.
Florent : Ouais, ils ont choisi leur direction. Mais au moins grâce à eux quand on dit Chris Caswell ou même Paul Williams, maintenant, ça parle aux gens.
Antoine : Même Pharrell Williams. C’est son année putain !
Il y a des artistes cools que vous avez découverts ces deux, trois dernières années ?
Florent : L’album de Kindness m’a vraiment marqué. Les réglages sont hyper osés au niveau du son, du mixage. C’est parfois n’importe quoi, les batteries claquent hyper fort, mais c’est volontaire !
Antoine : Oui ce disque est très cool, ça me rappelle celui de Tame Impala dans la démarche. J’aime bien quand le son du home studio rencontre celui du « gros » studio et c’est un peu le cas avec ces deux albums.
Florent : Il y a eu l’avant dernier album de Metronomy aussi. Je me souviens, quand j’ai découvert The Bay pour la première fois. On était en tournée et c’était une grosse claque quand même.
Il y a des chansons que vous regrettez d’avoir éliminé de la tracklist finale ?
Florent : Non, le choix était cohérent et puis on a plein de chansons sous le bras maintenant !
Antoine : Le moment d’écriture c’est ce que je préfère donc je ne regretterai jamais d’avoir composé telle ou telle chanson qui ne figure pas sur l’album. L’écriture, c’est le vrai moment de liberté.
Florent : C’est vrai qu’avec les périodes d’enregistrement et de mixage tu commences à figer les choses donc c’est flippant. Tu rentres dans une dynamique où tu essaies d’avoir du recul sur ta musique… c’est vraiment la chose la plus compliquée pour moi.
Antoine : Sinon on avait prévu de faire une reprise sur l’album. Thirteen de Big Star. Sans se mettre au niveau d’Alex Chilton, c’est une chanson qui ressemble pas mal à ce qu’on a essayé de faire avec Ventura : aller puiser dans des choses très juvéniles avec le regard de mecs un peu plus vieux. C’est une très belle chanson et c’était intéressant de se confronter à un registre dans lequel on ne nous attend pas vraiment.
Florent : Peut-être qu’on reprendra carrément un morceau de rap sur le prochain album.
Vous écoutez du rap d’ailleurs ?
Florent : Ouais beaucoup ! C’est un des trucs qui nous a beaucoup rapprochés au moment de notre rencontre.
Le morceau qui s’appelle Houdini c’est pour Kaaris alors.
Antoine : Allez, on va dire ça. En plus la rythmique « bouncy » est un peu hip-hop quelque part. Mais il y a aussi un morceau qui s’appelle Hello Again sur le disque, comme le titre des Cars. Donc il y a pas mal de petits indices éclectiques disséminés comme ça au fil de l’album.
Vous savez déjà quel sera le prochain single ?
Antoine : On a toujours choisi les singles au feeling. Ce n’est pas notre métier d’essayer de capter les tendances, de savoir ce qui peut passer à la radio. On hésite encore entre deux chansons qu’on adore mais ce sera une décision finale collégiale, avec le label.
Florent : Il y a des gens autour de nous dont c’est le travail et qui ont peut-être la vision marketing qu’on n’a pas. Et qu’on ne veut pas forcément avoir d’ailleurs.
Toi Antoine, en ayant bossé dans l’édition tu dois quand même avoir une vision particulière ?
Antoine : A part savoir lire un contrat, ça ne m’a rien appris. J’avais un gros problème en tant qu’éditeur : j’ai toujours voulu signer des artistes qui me plaisaient. Et ce n’est pas un bon critère. Je voyais le monde de la musique comme une méritocratie alors que ça n’a rien à voir. Il faut être malin, rationnel. Je n’ai surtout pas envie de rentrer dans ce genre de calculs avec Jamaica. J’ai discuté de ce sujet avec pas mal d’artistes et tout le monde est d’accord pour dire que c’est précisément quand tu essaies d’écrire un single que tu n’y arrives pas. C’est difficile de réussir à capter l’air du temps et à transformer sa carrière sur la durée. Pour un David Bowie, combien de mecs se ramassent la gueule en essayant d’être trop pragmatiques ?
Par rapport à ces notions d’honnêteté et de spontanéité qui vous tiennent à cœur, vous avez pensé quoi de l’explosion de Fauve ≠ ?
Florent : La démarche m’a beaucoup plus au début avec cet esprit hors label, un peu communautaire. Je me souviens être tombé sur leur premier single où ils disent « fuck le blizzard ». Il était 4h du mat’, j’avais bu, ça a généré une nostalgie de l’adolescence chez moi et je me suis dit : « Putain, j’aimerais bien avoir 18 ans là ! ». Après, il y a du bon et du moins bon dans ce qu’ils ont fait depuis. C’est juste un peu bizarre quand les gens crient au génie en parlant de Fauve. C’est comme ceux qui disent : « On n’avait jamais entendu ça. » Antoine m’a fait découvrir Diabologum récemment… Voilà quoi.
Antoine : On ne peut pas leur reprocher de ne pas être honnêtes. Je n’ai pas écouté l’album mais je pense que c’est impossible de faire ce genre de musique avec un énorme calcul au départ. Je les imagine mal faire des tableurs excel pour savoir ce qui peut marcher ou pas ! Fauve, ça me semble plus instinctif que ça. Ils découvrent tout en même temps et ça doit être assez dingue pour eux. Je pense qu’il y a beaucoup de travail derrière. De toutes façons, le milieu de la musique est tellement difficile en ce moment que s’ils arrivent à durer c’est forcément parce que les mecs sont des bosseurs. On ne remplit pas quinze fois le Bataclan par hasard, donc je pense que c’est bien parti pour durer. Il y a beaucoup de plaisir à prendre dans ce métier, mais également beaucoup d’efforts et de sacrifices à consentir. Il n’y a pas trop de place pour les touristes… ou alors ils disparaissent très vite.
Propos recueillis par Azzedine Fall
Jamaica en concert : mardi 15 et mercredi 16 avril à Paris (Boule Noire)
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