A l’occasion de leur création aux Rencontres Trans Musicales de Rennes, nous sommes allées rencontrer le duo Paradis. Avec eux, on a causé de leur nouvel album mais aussi de Vanessa Paradis (forcément), de transcendance et de French Touch.
Il y a toujours quelque chose de curieux à aller écouter de la house music assis. Samedi 5 décembre, au théâtre de l’Aire Libre, la performance de Paradis ne déroge pas à la règle. A l’occasion des Rencontres Trans Musicales de Rennes, Simon Mény et Pierre Rousseau étaient conviés à créer un spectacle son et lumière sur mesure, pour une résidence de quatre jours, s’étalant du 2 au 6 décembre. Carrés rouges, triangles jaunes, ronds verts : des formes géométriques colorées projetées sur des écrans forment un écrin parfait pour leurs chansons d’amour ravivant les grandes heures de la pop en français des années 1980 (Daho, Jacno). Si la mise en scène est belle, cette electro entraînante s’intègre difficilement à l’atmosphère d’un théâtre. Séduite par les morceaux, la salle se lève finalement pour une standing ovation. Et quand le duo entonne Recto Verso, un nouveau morceau, tiré de leur premier album à venir, le public, debout, danse enfin.
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Il y a maintenant trois ans, vous sortiez deux titres sur le label américain Beats in Space. Comment ils vous ont repérés ?
Pierre : En fait on en a sorti quatre. Deux par deux. Assez vite après qu’on se soit rencontrés avec Simon [Meny], on a commencé à faire de la musique. Après quelques mois, on avait déjà des morceaux dont on était fiers. On en a envoyé un à Tim Sweeney qui, à l’époque, avait juste la radio Beats In Space. Il nous a répondu qu’il commencerait bien un label avec notre musique. Nous sommes devenus sa première référence.
Quand vous avez fait écouter La Ballade de Jim aux Américains, qu’ ont-ils dit ? Au-delà des paroles, qu’ils ne pouvaient pas comprendre… est-ce vraiment gênant d’ailleurs ?
Pierre : Le premier morceau que Tim Sweeney a écouté n’était pas La ballade de Jim mais Je m’ennuie, une toute petite ritournelle, avec très peu de paroles en français. Quand il est venu à Paris, on lui a fait écouter la reprise d’Alain Souchon. Et justement, c’est lui qui nous a encouragés à chanter en français. C’était drôle d’ailleurs venant de Tim [qui est américain].
L’engouement français pour Paradis est parti de La Ballade de Jim. Était-ce une volonté de débuter avec une reprise de variété française ?
Simon : Ce n’était pas non plus un hasard mais la chanson, la variété française, n’est pas forcément un genre que l’on connait plus que ça. A un moment, on faisait un titre instrumental et on a eu envie de chanter les paroles de cette chanson dessus. C’est un titre qu’on aimait beaucoup et ça s’est fait de façon instinctive.
Pierre : Le choix du français est avant tout un choix sonore. Ce qui nous intéressait, c’était d’intégrer le spectre des voix dans la musique. Et vu qu’on fait une musique qui est à la base une musique de détails… On s’est intéressés à la rythmique que la voix peut apporter : les consonnes, les voyelles, les mots, les phrases, et puis après les chansons. C’est vraiment un processus musical, pas une revendication stylistique ou un choix militant, juste un plaisir musical.
Pourtant, on dit souvent que l’anglais est plus mélodique ?
Pierre : On n’a pas vraiment d’avis sur l’anglais, on sait juste qu’on voulait intégrer des voix et utiliser une langue qu’on maîtrise. Et la langue qu’on maîtrise le plus, c’est le français. Il n’y avait pas de choix, vraiment.
Dans un interview sur la webradio ClubXtrem, vous dites que « La house, c’est le point de convergence de Paradis. » Est-ce toujours le cas ?
Pierre : A la base, c’était notre point de convergence. Maintenant, on s’est découvert des choses en commun qui dépassent très largement ce style de musique. Moi j’ai écouté pas mal de disco, qui est une musique assez heureuse. Simon, de la techno, un peu plus sombre. Du coup, la house est une musique peut-être plus mélancolique et à la rencontre de ces deux courants. C’était notre point de convergence. Maintenant il y en a plein d’autres. La démarche nous intéresse plus que le style. Il y a un certain type de progressions harmoniques, de mélodies qu’on aime bien et qu’on retrouve dans n’importe quel genre de musique et avec des artistes qui ont n’importe quel type de parcours,
Après un premier EP en juillet dernier Couleurs Primaires, comment s’est passé votre premier live au Printemps de Bourges 2015 ?
Pierre : C’est une histoire assez drôle parce que c’est cette performance au PdB qui nous a permis d’être ici à Rennes. On a joué devant une salle presque vide [le dernier jour du festival], mais où on était super contents car on avait beaucoup travaillé. Dans la salle se trouvait Jean Louis Brossard, le programmateur des Rencontres Trans Musicales. Et c’est là qu’il nous a proposé la résidence au théâtre de l’Aire Libre.
Est-ce qu’il y a une répartition des rôles chez Paradis ?
Pierre : Aucune, à part sur le chant.
Simon : On écrit à deux les paroles.
Pierre : Tout est discuté. Le moindre mot, la moindre virgule. Si « de » c’est mieux que « du » par exemple.
Vous avez signé un remix pour Christine & The Queens qui en est à un million de vues sur Youtube. D’où est née cette collaboration ? Il y en aura d’autres ?
Pierre : On se connaissait un peu, on tournait en première partie avec elle. Ça c’est fait assez instinctivement : on en a parlé, et puis on l’a fait.
Vous venez de finir votre premier album. Comment s’est passé l’enregistrement ? Avec qui avez-vous travaillé ?
Pierre : On a travaillé que tous les deux pendant deux ans et demi sur le disque, qu’on a fini lundi dernier ! En fait c’est un album qu’on a commencé à faire très vite après nos deux premiers maxis sur Beats in Space. On a fait une première maquette qui nous a pris environ un an, et qu’on est allé présenter chez Barclay. On a ensuite travaillé les morceaux, fait de la scène, ce qui a durablement influencé notre vision de la production. Il y a plein de choses qu’on a adapté à cet impératif de scène.
L’album s’appelle Recto Verso : il comporte 12 morceaux, à découvrir en avril 2016. Il aborde la question de la dualité. Pas de producteur, pas de guest, mais un mixeur Julien Delfaut, et au master Antoine Chabert dit Chab [qui a signé « Random Memory Access » des Daft Punk]. Il y aura aussi une reprise et un morceau co-écrit, dans la mesure où il est influencé par un morceau préexistant.
Quand on vous dit que votre musique est une B.O. idéale pour se détendre, pour rêver, est-ce que cela vous énerve ? Votre album fera danser votre public ?
Simon : Je trouve ça plutôt positif.
Pierre : C’est hyper important pour nous qu’un morceau puisse nous plaire longtemps. On recherche la capacité relaxante chez un morceau. On a plein de petits malaises vis-à-vis de la rapidité, de la pression, de plein de choses qui font le monde dans lequel on vit. La musique peut apporter une forme de calme et de transcendance.
Et quand on parle de nouvelle French Touch, vous vous sentez concernés ?
Pierre : Encore une fois, c’est comme le style. Si les gens veulent nous mettre là-dedans, avec plaisir ! Si ça peut les aider à diffuser notre musique, c’est cool.
Simon : Ce qui est sûr c’est qu’on est un peu les enfants de tout ça.
Pierre : On écoute Daft Punk et Air, on est allé voir Philippe Zdar pour lui poser des questions. On a mixé avec Julien Delfaud qui est un proche d’Etienne de Crecy. On est chez Barclay… Donc oui, on fait partie de la French Touch, ce n‘est pas une revendication. C’est juste la réalité.
Vous faites partie du même label (Riviera chez Barclay) que Vanessa Paradis. Il s’est passé des trucs entre vous et l’artiste ?
Pierre : Aucun lien à part que la responsable de notre promo s’appelle Vanessa Broszniowski et qu’ici dans ce festival, ils l’appellent tous ‘Vanessa Paradis’. (Rires)
Et travailler sur une de ses chansons, ça pourrait vous intéresser ?
Pierre : Pourquoi pas ! On avait fait un test un jour avec une de ses chansons. En fait, il y a plein de DJs qu’on aime bien comme Optimo ou 2 Many DJs qui jouaient souvent sa musique, et il y a une compile mythique As Heard on Radio Soulwax Pt.2 avec Joe Le Taxi dessus. Elle fait partie des références dans la musique électronique, car la production était assez intéressante. Vanessa Paradis reste aujourd’hui une super artiste !
A qui vous avez fait appel pour la mise en scène à l’Aire Libre ?
Simon : On a commencé à travailler avec un ingénieur lumière, Vincent Lérisson. On a fait des tests.
Pierre : On est super contents, la personne a créé douze tableaux pour les douze morceaux joués. La mise en scène est belle.
Simon : L’idée c’est qu’on joue ces douze chansons accompagnées par les lumières de ces douze tableaux, qui évoluent pendant le show.
Qu’est-ce que vous allez vous permettre ici, que vous ne pourrez pas faire sur votre tournée ?
Pierre : On va prendre la question à l’envers. Il y a des choses qu’on se permet dans ce théâtre qui sont un peu bizarres. On pourrait se permettre plus de choses dans des contextes de fête, avec des gens qui dansent. Là, on est dans un théâtre, assis, et il y a des trucs qu’on fait qui ne sont pas adaptées au lieu, mais qu’on fait quand même. Mais il y a aussi des morceaux qui passent mieux dans ce théâtre qu’en festival : les plus lents, les plus doux.
Simon : Ça reste un live assez énergique pour un théâtre !
Comment s’est passée la préparation du live ? Vous avez invité un musicien en plus ?
Pierre : En effet, on est deux dans le groupe mais trois sur scène. Il y a Paul [Paul Prier du groupe Toys] au clavier qui est venu nous rejoindre. Il a apporté un relief dans toute la section harmonique et mélodique. On trouvait vraiment que ça manquait dans notre formule live précédente, qui était trop statique dans la musique. Il est venu apporter, parfois par sa brillance et parfois par son imperfection, de la vie.
Simon : Jusqu’à présent, le seul instrument qui était organique dans le live était la voix. Avoir un clavier en plus, rend l’ensemble plus cohérent.
Pierre : On a réussi au-delà du groove très rigoureux des machines à se créer un groove à nous trois, qui fait vivre cette musique et c’est ça qui est intéressant. C’est ce qu’on n’arrivait pas à faire avant et qu’on est contents d’avoir expérimenté. On nous a donné les moyens de le faire dans cette résidence !
Dans vos DJ sets, on découvre des goûts très éclectiques. Quels sont vos coups de coeur du moment ?
Pierre : J’adore Bon Voyage Organisation et Syracuse, que je trouve exceptionnel. Deux groupes français qui chantent en français, mais pas que.
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