Pour obtenir l’autorisation de rachat du prestigieux label EMI, en cours de négociation à la Commission européenne, Universal Music propose de partager le gâteau avec des labels indépendants. Au risque de déstabiliser une industrie du disque déjà mal en point.
En novembre, Universal Music Group, filiale de Vivendi et leader mondial sur le marché de la musique, se proposait pour le rachat d’EMI, la troisième major par la taille, moyennant 1,4 milliard d’euros. Cette acquisition, si elle est validée par la Commission européenne – qui a jusqu’au 27 septembre pour rendre sa décision –, promet de bouleverser à nouveau un paysage industriel déjà défiguré par l’effondrement des ventes de disques physiques.
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Autrefois florissant, ce secteur a perdu plus de la moitié de ses revenus en une décennie, avec des conséquences désastreuses pour la création, l’emploi et la viabilité de toutes les activités qui y sont liées. L’absorption d’EMI par Universal Music semble ainsi s’inscrire dans une logique de rationalisation économique dont l’objectif est de répondre aux exigences des actionnaires sans jamais apporter la moindre solution au fond du problème, à savoir la monétisation des contenus musicaux sur internet.
Cette nouvelle manche d’une partie de chaises musicales fatale, véritable jeu de massacre à l’issue duquel ne resteront qualifiés que trois grands groupes – Universal, Sony et Warner – avant un probable et ultime round, est pourtant la plus âprement disputée de toutes.
Dans son examen du dossier, la Commission européenne n’a pas manqué de pointer le risque d’une concentration qui nuirait tant à la diversité musicale qu’au respect de la concurrence. Le syndicat européen Impala (Independent Music Companies Association), qui regroupe de nombreux labels indépendants, a laissé entendre que dans certains pays, dont la France, la part de marché accaparée par le nouveau consortium excéderait les 50 %, et jusqu’à 80 % dans certains secteurs comme le jazz et la musique classique.
Pour obtenir l’autorisation de rachat du prestigieux label EMI, en cours de négociation à la Commission européenne, Universal Music propose de partager le gâteau avec des labels indépendants. Afin d’éviter de voir la Commission bloquer l’opération, Universal Music a donc décidé de céder pour 150 millions d’euros d’actifs en offrant à ses concurrents indépendants la possibilité d’acheter certains morceaux de l’ancien groupe EMI.
En avril, le catalogue des éditions EMI a été vendu à Sony pour 1,6 milliard d’euros. Les autres actifs dont Universal Music propose de se défaire pour alléger le mammouth et assouplir la position de la Commission et celle d’Impala concernent notamment des labels tels que Chrysalis ou Virgin Records. Ce dernier, aujourd’hui désaffecté, pourrait d’ailleurs renaître sous l’impulsion d’un duo composé de l’homme d’affaires Richard Branson, son fondateur, et de Patrick Zelnik, jadis président de Virgin France, aujourd’hui à la tête de Naïve – label, notamment, de Benjamin Biolay et de Carla Bruni.
En se déclarant en faveur de la fusion Universal-EMI, dans une tribune parue en juillet sur le site du Financial Times, Patrick Zelnik a visiblement fissuré le front des indépendants, jusqu’à présent unis dans leur hostilité au rachat. Et avec quels arguments ! “Je pense que cette fusion pourrait servir de point de départ à une nouvelle donne, a-t-il écrit. Aujourd’hui, le danger réside certes dans la concentration du marché entre les mains d’une super major, avec les conséquences évidentes à déplorer pour la diversité culturelle, mais aussi dans l’éventualité que les maisons de disques deviennent sous peu des sous-traitants de Google et d’Apple, avec les mêmes inévitables conséquences. Le cas échéant, les géants de l’internet en viendraient tôt ou tard à exiger que nous ciblions les oeuvres en fonction de critères exclusivement commerciaux. C’est pourquoi nous devons nous réunir autour d’une table pour redéfinir tous ensemble, majors et indés, la manière de satisfaire et de stimuler la demande, notamment grâce à de nouvelles plates-formes de téléchargement payant.”
Plus nuancé, Marc Thonon, du label Atmosphériques (Charlie Winston, Barbara Carlotti…), voit dans cette fusion à la fois une chance et un péril : “Dans un univers de la musique en plein bouleversement, où les fournisseurs de contenus sont devenus minuscules par rapport à ceux de l’internet, tout en restant incontournables, il y aurait quelques raisons de s’allier avec Universal, qui a toujours cherché à valoriser ses catalogues et leurs répertoires, et qui pourrait peser favorablement au profit de tous. Par exemple, pour la renégociation des abonnements avec les sites de streaming tels que Deezer ou Spotify. Le problème, c’est qu’aucune règle du jeu n’a été définie et que rien ne nous garantit qu’Universal ne finisse pas par abuser de sa position dominante en matière de distribution ou de médiatisation des artistes.”
C’est cette menace que veut retenir Martin Mills, le boss du label Beggars (Radiohead, The xx, Jack White…). Le plus farouchement opposé au rachat, il ironise sur la bonne volonté de la major : “Universal fait ça uniquement pour étendre son pouvoir sur le marché, le pouvoir d’imposer sa loi aux gens de l’internet et d’influencer leurs choix, le pouvoir de surenchérir sur les contrats, le pouvoir d’étrangler la concurrence. Universal se voit soudain en bon Samaritain du métier. Bizarrement, cette vocation ne lui vient que lorsqu’il est sur le point de bouffer EMI.”
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