La trentaine sereine, Patrick Vidal a bien digéré son plat de résistance new-yorkais, furieusement englouti avec Marie& les Garçons. Quelques pas de cotés, à temporiser, et l’aventure peut continuer.
En 76-77, il y avait ce magazine, Rock News, que faisaient Lizzy Mercier Descloux et Michel Esteban ; ils interviewaient tous ces gens qu’on adorait et dont personne ne parlait à l’époque : Patti Smith, John Cale Ils se permettaient même de mettre Television en couverture, on était héberlués : Mais il existe des gens à Paris qui connaissent et qui aiment ça ?!?. On les a immédiatement contactés, bien sûr ; on leur a envoyé nos cassettes. Il était tellement évident que nous flashions sur les mêmes choses. On se sentait très proches de ces gens de New York ;
les personnages de Warhol, Joe D’Alessandro, tout ça. Tu sais, Trash, à quatorze ans, on ne parlait que de ça dans nos fanzines’ Et nos deux premiers noms de groupes étaient n.y.35 et Femme Fatale, tout de même (rires)? Bref, quand on est venus de Lyon à Paris, on s’est vite retrouvés basés dans la boutique de fringues de Lizzy. On répétait dans sa cave, c’était bien. Après, lorsque nous sommes partis à New York, c’est encore par son intermédiaire que nous avons pu rencontré John Cale. Lizzy habitait avec Patti Smith, qui connaissait évidemment très bien John Cale. On a été présentés comme ça.
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La légende retient évidemment cette collaboration avec John Cale, pourtant elle n’a été qu’une amorce
Oui, la rencontre a été courte, ça n’a duré que trois jours. Au début, on avait un plan, on voulait lui faire produire deux titres : Attitude A et Attitude B, avec juste des larsens de guitares et des voix parlées par-dessus. Lui, gêné : Euh, oui, vous savez, j’ai fait ça il y a dix ans, alors’?, il préférait donc Rebop, cette espèce de twist bizarre qu’il trouvait plus porteur Et puis, il nous a fait ce son de hard-rock, lourd. Sur le coup, on trouvait qu’il nous avait défigurés’ Le son était vraiment gros pour nous qui faisions des choses tellement petites. C’était bizarre. John Cale, c’était surtout comme producteur de Patti Smith et de Jonathan Richman qu’il nous fascinait. Horses, tout de même
Vous étiez d’ailleurs passés en première partie d’un concert épique de Patti Smith à Paris.
Oh oui, elle avait été bien, elle nous avait dédommagé de sa poche, avec son cachet. Elle avait pris ma main, me l’avait ouverte tout en me regardant fixement avec ses grands yeux. J’étais sidéré car elle avait de la moustache (rires)? Imagine ma déception, Horses était ma bible, le plus beau de tous les disques, mais elle Elle était tout de même très très bab (rires)?
Qu’est-ce qui transcendait cette scène new-yorkaise ? Qu’est-ce qui vous y avait attirés ?
Cette façon de détourner les clichés, de ne pas être dans le rock comme pouvaient l’être les Clash ou les Pistols. On avait l’impression qu’ils s’intéressaient à d’autres choses, qu’ils allaient nous transmettre beaucoup plus que d’autres. Il y avait évidemment le côté littéraire
Le point de départ était Burroughs, toutes ses épopées extrêmement violentes, cette liberté totale avec les mots, le langage. Cette espèce de magma m a toujours halluciné. J’aime moins ses romans bien écrits, si je puis dire, où il raconte vraiment des histoires. Nos adaptations en français se faisaient toujours en écriture automatique, par rapport à notre perception de l’anglais. C’était toujours extrêmement sexuel.
Je me souviens, tout au début, on avait joué à une fête de lycée et on était un peu emmerdés de chanter devant les parents tous ces trucs immondes de pédés sauvages, marrons d’excréments, baisant sur des lits en cuivre (rires)? Mais on se sentait bien avec tout ça, je n’aurais pas imaginé chanter autre chose. C’était tellement un plaisir de pouvoir dire ces mots-là dans des chansons. En studio, peut-être que ça nous aurait posé plus de problèmes de pudeur, mais comme pratiquement tout ce qu’on a fait était en live, c’était tout à fait différent, comme une espèce d’émulation à un moment précis.
De toute la clique que vous aviez côtoyée à cette époque, vous avez gardé certains contacts ?
On connaissait bien les Talking Heads. On les avait rencontrés lorsqu’ils étaient venus jouer à Lyon avec les Ramones. On était allés les voir après le concert, en fans. On les avait invités à boire un verre et on était restés très longtemps en contact avec eux, ils venaient nous voir à Lyon. Un jour, on a eu un coup de fil très drôle, c’était David Byrne et Jerry Harrison qui étaient perdus dans Calluire, une petite banlieue de Lyon où on avait notre local : On est à côté de l’église, on est perdus, où êtes-vous ??, ils revenaient d’un concert en Italie, ils sont restés deux jours chez nous puis sont partis. Ensuite, il y a eu Remain in lights, ils sont devenus énormes et on s’est perdu de vue.
Il y a eu French Boy, votre fameux chapitre disco.
Au départ, on devait sortir un album alternant un morceau typiquement disco : violons, choristes blacks, etc. avec un morceau plus singulier, très court, genre Can ou Residents. On l’avait enregistré à New York, on avait même refait Rebop, rempli de synthés, de bruits de clochettes, version Noël sous la neige, avec pastiche Suicide à la fin. Mais bon, la maison de disques n’a pas voulu sortir l’album, ils n’ont voulu sortir que le truc disco. C’est à ce moment que Marie a dû partir. Puis très vite, ça a été le clash ; c’est dommage parce qu’on aurait encore pu faire des trucs bien. C’était bien de déstabiliser ceux qui venaient à nos concerts pour écouter un truc précis et de leur servir le contraire. Personne n’avait reproché à Blondie d’avoir enregistré Heart of glass, mais nous on s’est véritablement fait huer. On nous a traités comme des parias’ Enfin, on est tout de même entrés au Billboard, classés entre Sylvester et Donna Summer. Ce qui nous avait ravis (rires)?
Ces velléités de déstabilisation sont mortes avec le groupe ?
Non, ça me passionne toujours autant. Ceci dit, je ne vais pas m’escrimer à refaire ça continuellement. Déstabiliser n’est pas un but, même si je ne considère pas ça comme un truc de teenager pour autant. Je n’aime pas le confort, tout simplement ; dès que je suis fourré dans des habitudes, je m’enfuis, j’ai peur de me faire enfermer. Je pense toujours qu’il faut frapper des coups assez forts pour que les gens comprennent, puisqu’ils ne font pas vraiment dans la nuance. Et puis, il faut surtout savoir aller chercher ailleurs. Il y a un type que j’adore déjà depuis longtemps, en partie pour ça, c’est Marc Almond. Exactement le genre de carrière que j’aimerais vraiment faire ; ce type-là est libre, complètement. Il a frôlé la mega stardom avec Soft Cell et il a tout cassé pour pouvoir parvenir à son idéal, je le trouve passionnant, son attitude est tout à fait pure.
Ta longue absence correspondrait-elle à un manque de passion de ta part ?
Non’ Mais j’ai du mal à m imposer, à être agressif avec ce que je fais. Ce n’est pas trop mon genre de me dire J’ai été le chanteur de Marie & Les Garçons, je peux faire des choses exceptionnelles et en plus, beaucoup de gens vont être là à m attendre.? J’ai beaucoup tendance à m’enterrer ; en plus, je suis fier, ce qui fait que si l’on ne m appelle pas, je reste où je suis (sourire)? Disons que je n’ai pas eu la volonté de rechercher des gens avec qui travailler ; peut-être par peur de faire quelque chose d’obsolète, une redite De ne pas retrouver l’intensité qu’il y avait dans ce groupe.
Entre les deux, il y a tout de même eu le deuxième album d’Octobre, sur lequel tu chantais.
Oui, mais là, j’étais une pièce rapportée. Je ne pouvais pas leur imposer Les Garçons sauvages ou ce genre de trucs, ce n’était pas leur univers du tout, donc j’ai dû composer avec ça. A part le single Masculin féminin que je hais, j’aime encore ce disque. C’était assez bizarre comme expérience J’avais vécu les débuts de la disco avec Marie & Les Garçons et j’entrais dans ce groupe qui venait de découvrir le funk après un premier album tout ce qu’il y a de new-wave. C’était une sorte de virage. Il y avait à l’époque tous ces groupes comme ABC’ Mais la formule française n’a évidemment pas fonctionné ; on était un peu isolés. On s’est arrêtés après la première partie de Bowie à Auteuil.
Ton premier album solo, Histoires d’aventures, ressemble à une succession de courts métrages, tous très climatiques.
C’est vrai que souvent le point de départ est une image, une scène dans un film qui est un déclic. Pour Histoires d’aventures, c’est une photo qui me travaillait, celle de ce type en pull marin en Italie, et puis des impressions sont venues s’y greffer, Les Mauvais garçons de Pasolini, une scène sur la plage de l’adaptation cinématographique d’Agostino de Moravia. Tout ça se mélange.
Histoires d’aventures est aussi d’une noirceur insidieuse, diffuse.
Certains titres le sont même plutôt clairement, comme L’amour que je porte à mon revolver que j’ai eu du mal à enregistrer. J’ai dû me faire violence pour écrire certaines choses. Sur ce titre, il y avait une tension énorme avec cette voix parlée derrière qui lit des pages du Journal d’un raté de Limonov. Je lisais ce bouquin hallucinant pendant l’enregistrement, et d’une certaine façon, j’y ai retrouvé beaucoup de similitudes avec ce qui m intéressait ; des préoccupations très proches, notamment sur toutes les actions irréfléchies, très violentes, qui peuvent s’avérer fatales. Mais, d’une manière générale, je suis toujours partagé entre deux choses, ce qui est embêtant. La volonté qu’il y ait des choses violentes mais qu’elles soient sussurrées, que ce soit lisible et pas lisible du tout Parce qu’il y a par-dessus tout la volonté affirmée de ne pas écrire. Je n’ai jamais voulu être auteur, je ne pourrais jamais publier un recueil de mes chansons, ça me paraîtrait complètement antinomique avec ce que je fais, je ne vise personne (rires)? Je n’ai aucune prétention là-dessus ; écrire des textes est intimement lié au studio, à la fabrication d’un disque. Je ne pourrais jamais me dire Je pars une semaine à la campagne et j’écris’ parce qu’il manquerait l’essentiel. Bon, si tu me dis que ça t inspire un sentiment, c’est flatteur, c’est que j’ai peut-être trouvé un équilibre avec tout ça.
Tu as également éliminé de ton esprit toute obligation’ convenue de faire un disque de rock.
Oui, il y a ce format pop un peu nouveau pour moi, mais je ne me voyais surtout pas faire un album de rock pur et dur, avec toutes les références qu’il faut là où il faut, tous ces clichés emmerdants qu’on a depuis des années ; moi je m’en fous, je veux imposer un univers, viendront les gens qui voudront bien y venir. J’ai toujours fui ce genre de pièges, même avec Marie & Les Garçons. Ça a peut-être toujours été prétentieux de notre part mais j’ai constamment eu l’impression qu’on était sur la bonne voie par rapport à tous ces gens qu’on adorait. On a fait les choses à notre façon, je crois qu’on a été une bonne transcription’
Archives du numéro 25 (septembre 1990)
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