Quand deux usines ont le monopole et que l’une des deux brûle, c’est tout un marché qui tremble.
Un incendie, sans victime, mais des dégâts matériels considérables pour l’industrie vinyle. Le 6 février 2020, l’usine Apollo Masters, située à Banning, en Californie, a été ravagée par les flammes. Cette manufacture fabriquait de la laque indispensable à la confection d’un disque vinyle. Des usines comme celle-ci, il en existe deux dans le monde : MDC au Japon, et Apollo Masters donc, qui aujourd’hui est dévastée.
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Un bouleversement mondial tant le marché est en expansion. En 2018, 3,9 millions de galettes s’étaient vendues en France contre 1,8 en 2016, selon les chiffres du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep). Les ventes ont donc doublé en deux ans, ce qui prouve qu’au-delà du succès d’estime, il y a un réel intérêt économique pour le vinyle.
Manufactures
L’incendie d’Apollo Masters est un séisme pour toute l’industrie musicale, touchant les majors, les labels indépendants, les manufactures, et les artistes. Antoine Ollivier, cofondateur de l’usine de pressage vinyle, M Com’ Musique, se retrouve donc dans une situation inconfortable : “C’est comme quand il y a une crise du carburant, les gens se ruent vers le carburant, même ceux qui n’en ont pas forcément besoin. Donc il va falloir attendre un petit peu que ce phénomène-là retombe”. Une fois les clients rassurés, il faut donc analyser ce qui peut se passer, car cette laque permet de faire l’équivalent d’un négatif du vinyle, sa matrice, afin de presser en multitude l’exemplaire. Sans cette résine, les usines pourraient cesser de fonctionner.
Selon Antoine Ollivier, il y a plusieurs options. Le fournisseur japonais MDC pourrait agrandir sa production en fonction de la demande. Une nouvelle usine pourrait tout aussi bien voir le jour, même si le délai sera inévitablement plus long : “Et la dernière option, ce serait que des usines tombent par manque d’approvisionnement” analyse le gérant. Un crève-cœur pour toute une profession, qui a remis sur pied au fil des années un format d’une pureté sonore jamais égalée. Le vinyle étant devenu obsolète dans les années 1990, beaucoup d’usines avaient alors fermé ou évolué pour laisser une plus grande place au compact disque.
Les petits artistes en premières lignes
D’autres secteurs du marché se retrouvent dans la confusion. Pris en étaux entre abondante commande des majors et la flambée des prix, les labels indépendants et artistes se retrouvent dans une posture délicate. “On n’a aucun recul pour l’instant” explique JB, créateur de Born Bad Records. Le label américain Dark Entries nous révèle qu’“il y aura des délais c’est sûr”, pointe Josh Cheon, le fondateur. “Nous allons ralentir les productions, réduisant de moitié notre calendrier de sortie pour 2020.”
Today Apollo Masters burned down. It supplied 90% of lacquers for the WORLD (material used for cutting vinyl masters). There is only only supplier left now in Japan. Expect huge delays and setbacks from every label that makes records via this process. 😞 pic.twitter.com/Eu7RuuD7ze
— Dark Entries Records (@darkentriesrecs) February 8, 2020
La tendance pourrait impacter les nouveautés, celles-ci se verraient de moins en moins pressées en vinyles. “Moins on en tire, plus c’est cher” s’exclame Antoine Ollivier avant d’expliquer pourquoi les majors ont plus intérêt à represser de vieux albums. “Avec une laque on peut imprimer un million d’exemplaires d’un album des Beatles. Sur la nouveauté, ça va être du 500 exemplaires minimum. Les majors ont plus d’intérêt à tabler sur les vieilleries.” La laque servant à faire le négatif d’un vinyle, pour la rentabiliser il faut en faire beaucoup d’exemplaires. Avec une laque, l’usine produit des matrices pour arriver au stamper, c’est celui-ci qui permet de presser le vinyle jusqu’à 2000 exemplaires. Le coût de fabrication risque d’augmenter si la laque se raréfie. Un problème aussi car il faut que le vinyle passe des phases de test avant d’être pressé, comme l’explique Josh Cheon de Dark Entries.
“Cela dépend si l’enregistrement a réussi le test de la phase de pressage et qu’il a été approuvé. Si c’est le cas, l’enregistrement doit être pressé. Sinon, une nouvelle laque devrait être coupée et cette pénurie arrêtera maintenant la production.” Un pessimisme latent tant le rôle de la laque est majeur dans le processus de conception : “Ce que j’espère c’est que les gros mastodontes, en France ou ailleurs, ne vont pas acheter tous les stocks pour tuer le marché. Parce que c’est une technique comme une autre pour tuer le marché”, s’inquiète Antoine Ollivier, une mauvaise gestion des stocks de laque pouvant impacter fortement les petits fabricants tels que M Com’ Musique.
Vers l’inflation
“A mon époque, un vinyle c’était 5 francs”, cette phrase que vous l’ayez dite ou entendue, fait toujours aussi mal tant le prix d’un album vinyle a augmenté depuis le regain du format au début des années 2010. La musique est devenue un sport qui coûte cher pour tout passionné de ces vieilleries sonores, une dépense qui risque d’augmenter dans les mois à venir.
Même s’il est encore impossible de définir et de quantifier cette inflation, “un impact en magasin il y en aura un certainement, mais pas de 10€, plus proche des 20 centimes, mais bon rien n’est sûr, pour l’instant c’est incalculable.” Si pour l’instant les différentes parties de l’industrie retiennent leur souffle en attendant de voir comment va évoluer la situation au fils des mois, d’autre façon de faire existe tel que la DMM pour Direct Métal Mastering. Au lieu de faire la matrice sur une plaque de laque, celle-ci est faite sur une plaque de cuivre. Le rendu sonore est par contre moins qualitatif en passant par cette méthode, voilà pourquoi la majorité de l’industrie utilise de la laque.
L’industrie vinyle va donc passer une année 2020 dans l’attente et l’interrogation, “il est trop tôt pour dire ce qui se passe, mais je pense que cela fonctionnera d’une manière ou d’une autre” déclare Josh Cheon de Dark Entries. Le vinyle ne risque pas de connaître une pénurie, pourtant il faut être attentif au marché, les petits acteurs étant forcément les plus vulnérables, le public devra donc soutenir les galettes indépendantes.
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