Supergrass quitte le bac à sable pour se mesurer au rock adulte des Who : direct de la tétine à la pipe à opium. En 68, alors que la béatitude simplette du flower-power battait son plein, les Mothers Of Invention de Frank Zappa enfantaient d’un freak à deux têtes déjà intitulé We’re only in it […]
Supergrass quitte le bac à sable pour se mesurer au rock adulte des Who : direct de la tétine à la pipe à opium.
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En 68, alors que la béatitude simplette du flower-power battait son plein, les Mothers Of Invention de Frank Zappa enfantaient d’un freak à deux têtes déjà intitulé We’re only in it for the money. Sous l’impitoyable moulinette zappatiste dopée au vitriol s’ébauchait la première critique en temps réel d’un pan entier du rock de masse, clairement présenté comme du son à nourrir les ânes et à faire germer du blé. En reprenant la formule à son compte, Supergrass tend à rejoindre le camp des résistants lucides dans une Angleterre impuissante à repousser ses deux plus récents fléaux : le fondamentalisme rance incarné par les mods usurpateurs d’Ocean Colour Scene et le néo-prog-rock glaireux de Mansun et Kula Shaker. On pouvait douter jusqu’ici du ressort intellectuel chez ces héros de cartoons, dont les singeries et la fougue mélodique semblaient les seuls éléments bons à prendre, mais la vraie surprise de ce deuxième album est bien celle-là : le groupe s’est désormais enrichi d’une conscience. Le boys’ band supersonique croisé sur I should coco a vécu, place aujourd’hui à un héritier plus réfléchi, mieux armé et moins soumis aux fluctuations du marché de dupes qu’est la pop britannique. En s’écartant le plus loin possible de ce débat concentrique et mortifère quel sera le prochain moule à gaufre qui empochera dix Brit Awards ? , Supergrass coupe l’herbe sous les pieds de Blur dans sa recherche médiane et singulière d’un nouveau souffle. Eux n’ont pas attendu les premiers signes de fatigue pour changer de braquet, et le coup de fringale que l’on ressent aux premières écoutes d’In it for the money n’est dû qu’à ce subit changement d’altitude combiné aux carences en sucre. Une passagère sensation d’étouffement qui donne à cet album plus complexe qu’il n’y paraît un premier goût de cafouillage, d’imprécision, avant que ne s’y révèlent peu à peu d’infinis alpages et tout un nuancier digne des plus glorieuses figures de haut vol. On n’aurait jamais pensé devoir marier un jour les mots Supergrass et austérité, mais c’est partiellement le cas ici : une austérité certes toute relative étant donné le boucan apparent, mais une austérité quand même puisque nul ornement superflu ne vient gadgétiser la tension gaillarde de l’ensemble. Si cet éteignoir façon mur du son n’a pas tout à fait raison de la flamme juvénile de Supergrass, celle-ci n’est désormais utilisée qu’en extrême recours, lorsque le groupe ressent un besoin vital d’oxygène après un galop trop irréfléchi dans la poussière. Alors qu’un clonage, même réussi, d’I should coco aurait constitué la plus lâche des solutions, Supergrass prend le risque de réapparaître dès ce deuxième album sans l’attirail de recettes gourmandes qui fit le succès du premier. Par ce virage à angle droit, le trio vient mesurer sa résistance au temps sur un terrain autrement plus miné que l’aire de jeu débilitante de la brit-pop : celui des Who de Sell out, des Small Faces de Ogden’s nut gone flake et de tous ceux qui, depuis l’invention du rock anglais, sont passés directement de la tétine à la pipe à opium.
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