Dans le sillage de Tinariwen, les guitares électriques se sont durablement installées dans le désert. Trois albums signés Imarhan, Kel Assouf et Bombino témoignent du renouveau rock de la musique touarègue.
Tout ce qu’il était possible de faire avec une guitare électrique l’a été. Et le rock, l’esprit du rock, s’est déplacé ailleurs.” Le guitariste (de Patti Smith) Lenny Kaye ne pouvait sans doute pas imaginer que son expertise sur un sujet sur lequel on ne lui déniera pas quelques compétences serait remise en cause entre Tamanrasset et Agadez. C’est pourtant de ces deux oasis sahariennes que souffle depuis quelque temps le vent du renouveau.
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Se fabriquer une guitare à l’aide de câbles de vélo
C’est au cœur du grand désert blanc que l’épopée du rock, et de son instrument fétiche la guitare, a repris de l’élan. Une épopée qui, depuis l’avènement d’une poignée de groupes, se confond avec le destin de ces enfants de l’exil, de cette diaspora touarègue fuyant un conflit vieux d’un demi-siècle auquel les nombreux cessez-le-feu décrétés, les accords de paix signés n’ont jamais su mettre un terme.
Fils de réfugié, Sadam Ag Ibrahim a commencé, comme tout jeune Touareg, par se fabriquer une guitare à l’aide de câbles de vélo et d’un bidon d’huile de moteur. Puis un jour, il en a trouvé une vraie, abandonnée dans la décharge publique de son quartier de Serssouf, à Tamanrasset, dans le sud algérien. Aujourd’hui, Sadam a 25 ans et est le leader d’Imarhan, groupe qui rafraîchit le style “ishumar” propre aux Tamasheqs (Touaregs) que la guerre a dispersés aux quatre coins du désert et dont Tinariwen fut le précurseur. Leur brillant premier album vient de sortir sur City Slang, l’ancien label d’Arcade Fire, produit par Eyadou, bassiste de Tinariwen et cousin de Sadam. Symbole d’un passage de témoin, en 2014 Sadam suppléait à l’absence d’Ibrahim, leader charismatique de Tinariwen, lors d’une tournée mondiale.
Plus âgé, Anana Ag Haroun vient d’Agadez, ville-carrefour du Niger située à mille kilomètres au sud de Tamanrasset. Il avait 12 ans quand, dans les années 1980, sa famille a dû fuir en Lybie, passant d’un camp de réfugiés à l’autre. Après un an et demi de formation militaire, Anana rejoint la rébellion touarègue qui combat les forces gouvernementales maliennes et nigériennes.
« Un décalage entre son langage corporel et sa musique »
C’est dans le maquis qu’il fait la connaissance d’Abdallah, puis de Hassan, d’Intiyeden, d’Ibrahim, tous membres fondateurs de Tinariwen. Et c’est à leur contact qu’il se perfectionne à la guitare. Après maintes pérégrinations, il s’installe à Bruxelles et rassemble des musiciens avec qui il fonde Kel Assouf (“Ceux de la nostalgie”). On y trouve une Belgo-Ghanéenne, un Algérien, un Mauritanien, un Malien, un Béninois. En 2011, un premier album, Tin Hinane, reflète cette diversité. Mais au cours de cette même année, un concert avec Sofyann Ben Youssef vient radicalement changer la donne.
“Je trouvais qu’il y avait chez Anana un décalage entre son langage corporel et sa musique”, retient de cette rencontre Sofyann, multi-instrumentiste d’origine tunisienne. Grand connaisseur des musiques orientales, mais aussi fan de metal, Sofyann se met à vouloir infléchir le style de Kel Assouf vers quelque chose de beaucoup plus physique, à la limite du “stoner rock”. A la grande satisfaction d’Anana qui désirait inconsciemment la même chose. “C’est ce que je voulais sans oser me l’avouer. Un son plus rock pour un message plus audible.” Plus sceptique fut en revanche Toulou Kiki Bilal, cousine d’Anana, qui chante sur la plupart des morceaux du nouvel album Tikounen. “C’était beaucoup trop éloigné de ma tradition. Même si, à la longue, je me suis adaptée”, précise celle qui est aussi l’une des actrices vedettes du dernier film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu.
Cette relation entre musique du désert et heavy rock n’a pourtant rien d’opportuniste. Les rythmes hypnotiques du tindé, pratique ancestrale exclusive aux femmes tamasheqs, font le lien. Un autre guitariste d’Agadez, Omara “Bombino” Moctar, s’était déjà fait un devoir d’électrifier cette ligne traditionnelle avec sa Fender Stratocaster. Après un album produit par Dan Auerbach des Black Keys, le voici de retour avec Azel, produit par Dave Longstreth de Dirty Projectors.
Une sagesse qui n’est pas de son âge
On y retrouve cette sonorité saturée comme si tout, des mécaniques de son instrument aux composants électroniques de son ampli, grinçait à cause du sable porté par le vent. “La guitare, c’est la joie de toute la jeunesse du désert”, dit Bombino. Mais la guitare, c’est aussi dans cette région qui, bien qu’oubliée du monde, est victime de tous les maux contemporains qui le traversent – trafics, terrorisme, malgouvernance, corruption –, le moyen de défendre une identité menacée.
“Le combat ne doit plus passer par les armes”, affirme Anana. “La question touarègue nous travaille mais elle ne nous enferme pas”, enchérit Sadam, pour qui le sort de son peuple ne doit en rien occulter ce qui se passe ailleurs. Alwak (“Le Temps”), chanson qui clôt ce premier album d’Imarhan, reflète une sagesse qui n’est pas de son âge. “Ça va prendre beaucoup de temps avant que les choses ne s’améliorent. Pas sûr que ma génération verra le problème touareg être réglé.” En attendant, les guitares vont rester branchées.
album Imarhan Imarhan (City Slang)
concert le 28 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)
album Kel Assouf Tikounen (Igloo)
album Bombino Azel (Partisan)
concert le 26 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)
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