Retour sur la genèse du deuxième album du groupe britannique, qui a hissé le rock dans la stase de l’extase.Il y a trente ans, Spacemen 3 enfonçait les portes de la perception pour hisser le rock dans la stase de l’extase. Retour sur la genèse de The Perfect Prescription, le deuxième album du groupe britannique.
En 1986, Spacemen 3 amorce une révolution esthétique avec Sound of Confusion, son premier album : une alchimie sonore où la radicalité du Velvet Underground côtoie l’intensité des Stooges. Le groupe y sublime les classiques des sixties pour les rendre encore plus beaux, plus flamboyants, plus indispensables, comme Losing Touch with My Mind, une chanson basée sur un riff de Citadel des Rolling Stones :
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Formé quatre ans plus tôt autour de deux étudiants en art, Peter Kember (aka. Sonic Boom) et Jason Pierce (aka. J. Spaceman), à Rugby, une ville située en Angleterre centrale, le groupe se gave de garage-rock psyché des compilations Nuggets ou Pebbles. Très vite, il se place en rupture radicale avec la doxa dominante, dans une période où Bananarama et The Bee Gees squattent les charts anglais : une attitude passive-agressive évoquée par Jason Pierce dans Rétromania de Simon Reynolds :
« Nous ignorions totalement les années quatre-vingt. Musicalement et politiquement, nous étions des intrus. Nous nous sommes réfugiés dans un univers musical – les années cinquante et soixante – qui n’avait rien à voir avec le mainstream. »
Un an plus tard, en 1987, pendant que Morrissey annonce aux Inrocks la séparation des Smiths, Peter Kember et Jason Pierce élèvent la création à la hauteur de leurs addictions avec un deuxième album : The Perfect Prescription.
Dans une symphonie hypnotique, Spacemen 3 raconte une longue montée de trip où il est question de s’abandonner afin de franchir les frontières de l’expérience. En studio, les musiciens se livrent à cet état apathique afin d’accéder à de nouvelles sensations. Une philosophie qui rappelle celle de Timothy Leary qui, dans Mémoires acides, écrit que les drogues permettent de « devenir sensible aux divers et multiples niveaux de conscience ainsi qu’aux embrayeurs spécifiques qui permettent d’y accéder ».
Emphase minimale pour effet maximal
Accomplissement d’une quête sensorielle, The Perfect Prescription s’érige comme un hymne spirituel qui débute avec Take Me to The Other Side, une invitation vers un ailleurs extatique, pour s’achever sur un titre inspiré par J.J. Cale : Call The Doctor, élégie ultime avant l’overdose.
Nourri de références abondantes, du gospel au psychédélisme, de Lou Reed à The Red Krayola, Spacemen 3 outrepasse les limites du rock avec un deuxième album protéiforme au caractère complexe, mais à la puissance indéniable, qui voit la collaboration entre les deux musiciens portée à son paroxysme. Jason Pierce se découvre une passion pour l’écriture, Peter Kember pour les arrangements.
Sur Ecstasy Symphony, le musicien met un point d’orgue à accéder à la plénitude grâce à une seule note retravaillée à l’excès : un « la » enregistré sur un Vox. La production reste fascinante pour qui se plaît à disséquer la musique jusque dans ses moindres fréquences. Durant près de dix minutes (des versions tronquées existent), divers effets se superposent aux cordes que l’on retrouve sur Transparent Radiation. Une dimension planante qui contemple, inévitablement, la musique ambient « capable d’accommoder tous les stades d’intérêt sans forcer l’auditeur à écouter », selon Brian Eno. Une lévitation magique décrite par Peter Kember dans la biographie du groupe, Spacemen 3 & the Birth of Spiritualized d’Erik Morse :
« Ecstasy Symphony correspond au leimotiv ‘prendre des drogues pour faire de la musique pour prendre des drogues’. C’est exactement ça, c’est un titre qui résume à lui-seul, tout ce que nous voulions faire. »
Ignorés par la presse musicale anglaise
Pourtant, hormis une critique marginale dans l’hebdomadaire Sounds, les réverbérations de Spacemen 3 ne trouvent aucune résonance dans la presse musicale anglaise qui préfère se faire l’écho de groupes comme Loop ou The Pastels. Aux Etats-Unis, en revanche, le critique musical Byron Coley (connu pour avoir signé les notes des pochettes de Sonic Youth, Dinosaur Jr ou John Fahey) encense le disque dans le magazine Forced Exposure. Il devient l’un des favoris de Thurston Moore et influence Dean Wareham :
« Quand on a commencé Galaxie 500, en 1987, notre son ressemblait à celui de Spacemen 3. À l’époque, on regardait les groupes anglais d’un œil méfiant, mais leur musique avait quelque chose de très américain. Ils arrivaient à créer une ambiance, ce qui n’est pas facile : souvent, la voix du chanteur ou les paroles ne collent pas à la mélodie. »
Après quatre albums studio, Spacemen 3 se sépare, en 1991 : Sonic Boom fonde Spectrum ; Jason Pierce, Spiritualized. Trente ans plus tard, l’effet procuré par The Perfect Prescription reste immuable.
Irrésistiblement visionnaire, l’influence du groupe s’est amplifiée avec le poids des années pour prolonger la voie esquissée par The Jesus and Mary Chain : celle de toiser son époque avec distance et d’ouvrir une brèche dans laquelle de nombreux groupes se sont engouffrés, de Brian Jonestown Massacre à MGMT (Peter Kember a produit Congratulations, en 2010, le deuxième album du groupe new-yorkais). En 2003, Space Age Recordings, réédite, sous le nom Forged Prescriptions : The Perfect Prescription, des inédits et des titres rares. L’occasion de redécouvrir une œuvre, aussi modeste qu’immense, qui n’a jamais cessé de choyer la beauté grâce à son ineffable intensité.
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