Paix, liberté, compassion et LSD, mon frère. Surtout, l’été 1967 sera à jamais celui de l’amour. L’hallucinante affiche du Monterey Pop Festival en bande-son officielle.
De toutes les compagnies aériennes, c’est à celle-ci que revient à la fin des années 1960 la palme des passagers les plus béats. En juin 1967, Eric Burdon étrenne une chanson qui, deux mois plus tard, concourra sous forme de single à ringardiser la Pan Am ou Air France. Tirant un trait sur ces vénérables entreprises, San Franciscan Nights suggère d’avoir recours aux services d’une nouvelle venue sur le marché du transport aérien, Trans Love Airways, pour, toutes affaires cessantes, s’offrir un vol vers une ville où “les murs bougent et les esprits aussi”.
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Que l’amour puisse donner des ailes – y compris à de lourdes carlingues d’acier –, l’idée n’est pas nouvelle. Dès le mois d’août précédent, Donovan vantait dans l’un des titres de l’album Sunshine Superman les mérites d’un modèle de ponctualité aéroportée :“Fly Trans-Love Airways, gets you there on time.” Mais c’est grâce au triomphe d’une paire de hits estivaux – le San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair) de Scott McKenzie et le San Franciscan Nights des Animals – qu’une génération d’ados va fendre les airs en direction de la capitale mondiale des bons et beaux sentiments.
Les prémices dès 1965
Dès 1965, la jeunesse des campus s’insurge contre la guerre du Vietnam. En novembre de cette année, Allen Ginsberg théorise dans Demonstration or Spectacle As Example, As Communication or How to Make a March/Spectacle la capacité des fleurs à désamorcer la violence. Le 14 janvier 1967, ce même Ginsberg participe à un rassemblement destiné à fédérer les tribus contestataires de San Francisco : lors du Human Be-In, les vétérans de la scène beat de North Beach fraternisent dans le Golden Gate Park avec les activistes de Berkeley et les hippies établis dans le quartier voisin de Haight-Ashbury.
A l’affiche, les plus intrépides aérostiers de l’acid rock – Country Joe & the Fish, Grateful Dead, Jefferson Airplane, Big Brother & The Holding Company, Quicksilver Messenger Service – et tous les poètes désireux de “palabrer, célébrer et prophétiser l’ère de la libération, de l’amour, de la paix, de la compassion et de l’unité du genre humain”. Vaste programme, dont la conjonction d’un cadre verdoyant, d’un soleil quasi printanier et de la consommation généralisée de substances psychotropes assure le succès.
Invité au micro, l’apôtre du LSD Timothy Leary énonce un précepte qui va faire recette : “Turn on, tune in, drop out”. Se brancher, capter la bonne fréquence et larguer les amarres, les 20 000 participants au Be-In y sont tous disposés. Cette fréquence magique, c’est sur les ondes FM qu’on la trouve. En diffusant les premiers albums de Country Joe & the Fish et du Jefferson Airplane de Grace Slick – Electric Music for the Mind and Body et Surrealistic Pillow –, les DJ de la Bay Area popularisent le psychédélisme dans sa forme la plus avenante et aventureuse. Six cents kilomètres plus au sud, les producteurs tendent l’oreille.
La crème de la crème
Aux yeux des musiciens de San Francisco, Los Angeles a toujours fait figure de “plastic city”. C’est pourtant dans cette capitale de l’artificialité que s’organise l’événement phare du Summer of Love. Du 16 au 18 juin, le Monterey Pop Festival attire dans un charmant port de pêche (otaries et loutres de mer y ont leurs habitudes) plusieurs dizaines de milliers d’amateurs de bonnes vibrations, lesquelles sont dispensées par la fine fleur du rock sixties. Du folk, de la soul et du sitar aussi, Simon & Garfunkel, Otis Redding et Ravi Shankar étant de la fête.
Qu’ils viennent d’Angleterre (les Animals et les Who), de la planète Mars (le Jimi Hendrix Experience), de Los Angeles (les Association, les Byrds et les Mama’s & The Papa’s, dont le leader John Phillips a en grande partie coordonné l’entreprise) ou de San Francisco (Jefferson Airplane, Grateful Dead, Country Joe & the Fish, Big Brother & the Holding Company, Moby Grape, Steve Miller Band et Quicksilver Messenger Service), les groupes se succédant sur la scène du festival ont pour la plupart conscience de faire l’histoire. Et, miracle de l’émulation, s’élèvent à la hauteur de l’enjeu : en offrant au Ball and Chain de Big Mama Thornton un séjour au royaume des spoutniks, Janis Joplin élargit au cosmos le domaine du blues.
150 000 orchidées
Rien n’a été laissé au hasard. Importées de Hawaii, 150 000 orchidées fleurissent la scène et les chaises des spectateurs ; au bout de deux jours, elles décorent également les casques et les guidons de motos des policiers comme des Hell’s Angels. Quand, au terme de sets pyromanes, les Who et Jimi Hendrix fracassent leurs guitares devant les caméras du documentariste D.A. Pennebaker, c’est à un monde ancien qu’ils entendent porter le coup de grâce. Euphorie collective aidant, le chanteur des Byrds peut paraphraser au micro une déclaration de Paul McCartney – “Si on faisait prendre du LSD aux hommes politiques, la paix aurait enfin une chance de régner sur le monde” – sans trop faire ricaner les bataillons de journalistes conviés à couvrir le festival.
Pourtant, même en Californie, la colombe a du plomb dans l’aile. A San Francisco, le manager de Grateful Dead, Rock Scully, dénonce une braderie de l’éthique communautaire : “De toutes les arnaques et de toutes les formes d’exploitation et d’opportunisme, le festival de Monterey est ce qui se fait de plus infâme.” D’autres (au premier rang desquels figure le collectif anarchisant des Diggers) décident d’épargner au ridicule le soin d’achever l’utopie ; le 6 octobre, ils organisent sur Haight-Ashbury un défilé baptisé Death of Hippie.
Les bad trips se multiplient
L’avis d’obsèques mettra un temps fou à parvenir à destination : quand une floraison de drug songs – White Rabbit, Purple Haze, Hole in My Shoe, My Friend Jack et Here Come the Nice, respectivement signés Jefferson Airplane, Jimi Hendrix, Traffic, The Smoke et Small Faces – fait planer les transistors, nul retour sur terre n’est à l’ordre du jour. Tandis que les bad trips se multiplient dans le Golden Gate Park envahi de junkies, des pros du songwriting marient psychédélisme et bubblegum.
Enregistré par des musiciens de studio, le Let’s Go to San Francisco des Flower Pot Men prolonge l’été anglais jusqu’à la fin de l’automne. A New York, la comédie musicale Hair promet en octobre qu’à l’ère du Verseau “la paix guidera les planètes et l’amour dirigera les étoiles”. Le même mois, à Paris, Johnny Hallyday court les plateaux de télévision déguisé en hippie de San Francisco. L’année suivante, il y deviendra le gangster Clyde Barrow, roi du hold-up et de la mitraillette.
A retrouver dans le hors-série « 1967, psychédélisme et contestation »
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