L’ancien leader d’Odd Future publie enfin le successeur du brillant « Scum Fuck Flower Boy ». Avec « IGOR », véritable bande-son de sa vie amoureuse, le Californien s’impose de nouveau comme l’outsider le plus fascinant du rap américain.
Le calendrier est respecté. Depuis Bastard, première mixtape du kid de Los Angeles parue en 2009, il est de rigueur que Tyler, The Creator vienne agrémenter sa discographie d’une nouvelle saillie tous les deux ans. Officialisé il y a quelques semaines après une fuite de Sony – un document laissait sous-entendre l’arrivée d’un nouveau projet du rappeur avant fin juin –, IGOR, son cinquième album, était attendu de pied ferme ce vendredi 17 mai.
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Après plusieurs teasers énigmatiques diffusés sur YouTube et une série de tweets des plus enthousiastes postés ces derniers jours par Tyler en personne, l’excitation était à son comble. En 2017, Scum Fuck Flower Boy présentait le rappeur au meilleur de sa forme artistique, allant jusqu’à lui offrir cette même année une nomination aux Grammy Awards dans la catégorie « meilleur album rap ». Deux ans après, que pouvions-nous alors attendre de ce sale gosse sensible et authentique, qui ne cesse d’encourager chacun à être eux-mêmes et à voler de leurs propres ailes ?
Avertissements
Dans un post publié sur les réseaux sociaux une heure avant la sortie de son nouveau disque, Tyler, The Creator livre un début de réponse. « Ce n’est pas Bastard. Ce n’est pas Goblin. Ce n’est pas Wolf. Ce n’est pas Cherry Bomb. Ce n’est pas Flower Boy« , prévient-il. « C’est IGOR. Ne vous jetez pas dedans avec l’espoir d’écouter un album de rap. Ne vous jetez pas dedans avec l’espoir d’écouter n’importe quel album. Juste allez-y, jetez-vous dedans. »
— T (@tylerthecreator) May 17, 2019
Le synthé saturé d’Igor’s Theme donne le départ. S’ensuivent un rythme de batterie imposant, un refrain désabusé chanté par la voix – encore et toujours – maquillée du rappeur, puis une débauche de claviers, qui ne manquent pas de précipiter le reste de l’album dans un vertige de l’amour. À peine le temps de s’en remettre et voilà qu’Earfquake et ses faux airs de G-Funk donne la première grosse claque du disque. Tyler, brisé par l’être aimé (mais bel et bien épaulé par le flow de Playboi Carti), révèle toute sa souffrance intérieure.
Bande originale
Assurément, IGOR n’est pas un album de rap, ni un album quelconque mais bel et bien la bande originale de la vie amoureuse de Tyler Okonma, avec un début, un milieu et une fin, le tout structuré par des aphorismes récités par le comédien Jerrod Carmichael. Le jeune loup y liste ses émotions, ses tourments et livre ses réflexions sur cet amour non-partagé qui ne cesse de le hanter. Ici, l’auditeur se substitue au Doctor T.C., le fameux thérapeute fictif de Tyler à la voix gutturale, et se laisse bercer par l’introspection sentimentale du rappeur.
Tyler, The Creator commence par broyer du noir, se lamente sur son sort jusqu’à sombrer dans la folie (le lugubre mais jouissif New Magic Wand, qui n’est pas sans rappeler les délires meurtriers période Bastard/Goblin) avant de finir par retrouver la lucidité et essayer de passer à autre chose malgré un certain goût amer persistant (I Don’t Love You puis Are we Still Friends ?).
Musicalement, l’album poursuit la voie empruntée par Cherry Bomb et Scum Fuck Flower Boy. Les synthés y sont légion et leur groove diffuse une atmosphère funk caractéristique de la West Coast. Tyler, The Creator est toujours autant obsédé par les mélodies et les arrangements. Et là encore, il s’offre un casting de haute volée pour son cinquième album.
Si l’on perçoit à l’oreille la présence de Playboi Carti, Santigold, Kanye West, Pharell Williams ou encore Kali Uchis, certains sites comme Pitchfork ou The Fader confirment la présence de Lil Uzi-Vert, Al Green et Charlie Wilson à la production de quelques titres. Les noms de Cee Lo-Green, King Krule, Mild High Club ont également circulé sur les réseaux sociaux.
Dans la lignée des iconoclastes
« Tell these black kids they can be who they are« . Cette phrase, lâchée en 2015 sur le titre Where This Flower Blooms aux côtés de l’ami Franck Ocean, résume à elle seule toute la philosophie du rappeur. Depuis ses débuts, Tyler, The Creator la joue à l’instinct, tel qu’il est, sans se soucier du jugement des autres. Il n’a cessé de le démontrer en se créant un univers singulier, fait de vidéos inspirées de Wes Anderson comme des premiers Pixar, et en lançant sa propre marque GOLF, aux motifs colorés.
Ces dernières années, le rappeur joue la carte de l’ambiguïté quant à sa sexualité. Avec ce nouvel album, il semble l’assumer pleinement. Des punchlines inspirées telles que « ‘Cause this parka is Comme, you’re my favorite garçon » sur A Boy Is A Gun ne manqueront pas de relancer les spéculations. Au fond, l’orientation sexuelle de Tyler, The Creator n’est pas la question.
Inspiré par des figures iconoclastes comme Kanye West – qui joue ironiquement le rôle de l’être aimé de Tyler sur le titre Puppets – ou son mentor de toujours Pharell Williams – qui apparaît sur Are We Still Friends ? –, Tyler Okonma s’inscrit dans une lignée d’artistes qui bousculent les codes du rap et se démarquent de l’attente virile du genre. IGOR, de par son thème et son instrumentation, le place de nouveau comme l’un des outsiders les plus fascinants de ces dernières années.
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