Tyler, The Creator compose la bande-son de sa propre histoire d’amour en mettant l’accent sur les mélodies et les arrangements, dans la lignée des iconoclastes du rap américain.
Les grands disques ont parfois besoin d’une note d’intention. Ne serait-ce que pour annoncer le caractère exceptionnel du contenu et prévenir tout risque de déconvenue. En 2008, la présentation à la presse de 808s & Heartbreak, le quatrième album quasi légendaire de Kanye West, débutait par quelques mots du rappeur : « J’ai le sentiment de devoir faire un petit discours avant que vous n’entendiez l’album parce que ce n’est pas un album de hip-hop, expliquait-il. Le hip-hop est terminé pour moi. Je ne fais pas de rap sur ce disque, je chante.«
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“Ne vous attendez pas à un album quelconque”
Vendredi 17 mai, une heure avant la sortie de son nouveau disque IGOR, Tyler, The Creator publie sur les réseaux sociaux un court texte d’avertissement faisant écho aux paroles de Yeezy : « Ne vous attendez pas à un album de rap, ne vous attendez pas à un album quelconque », prévient-il.
En prime, le kid de Los Angeles conseille d’écouter le projet d’une traite, dans l’ordre et sans distraction. Car IGOR est avant tout une histoire, l’histoire d’amour d’un sale gosse au cœur brisé avec un début, un milieu et une fin.
Tyler se confie d’emblée sur sa souffrance (les brillants Earfquake et I Think) et livre ses réflexions sur cet amour non partagé qui n’en finit pas de le hanter. Au fil de l’album, structuré par des aphorismes du comédien Jerrod Carmichael, le rappeur s’enfonce dans le déni puis sombre dans la folie (le jouissif New Magic Wand et ses envies de meurtre, qui renvoient aux délires de l’ex-leader d’Odd Future, période Bastard (2009) et Goblin (2011), avant de se résigner puis d’accepter sa condition (I Don’t Love You Anymore) avec un semblant d’espoir persistant (Are We Still Friends?).
La bande-son d’une idylle déchirante
IGOR n’est donc pas un album de rap. Encore moins un album quelconque, mais bien la bande-son d’une idylle déchirante. Ici, Tyler, The Creator rappelle une nouvelle fois sa passion pour les mélodies et les arrangements. Ses compositions décomplexées, où les claviers typés West Coast des 70’s règnent en maîtres, se sont affinées.
Le chant s’est substitué au flow et la voix apparaît presque constamment maquillée – un parti pris désormais récurrent chez le Californien depuis l’album Cherry Bomb (2015) et son brillant successeur Scum Fuck Flower Boy (2017).
A l’instar de son modèle absolu, Pharrell Williams, qui vient clore IGOR sur Are We Still Friends?, ou de Kanye West, qui apparaît quant à lui sur Puppet, Tyler Okonma revendique encore et toujours sa singularité. Dans la lignée de ces iconoclastes, il ne cesse de produire une musique sensible et authentique, qui continue de bousculer les codes du rap.
Avec son chef-d’œuvre 808s & Heartbreak, Yeezy relevait le défi d’envoyer bouler les attentes viriles du genre en laissant s’exprimer ses peines de cœur sous Auto-Tune. Dix ans après, Tyler, The Creator s’impose en digne héritier.
Album IGOR (Columbia/Sony Music)
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