L’un écrit des livres et a sorti un disque. L’autre sort des disques, mais sa vie est un roman. Le prochain album d’Iggy Pop est ouvertement influencé par l’écriture de Michel Houellebecq. Depuis le temps qu’ils s’admirent, il fallait qu’ils se rencontrent. Et parlent de leurs chiens. Tout l’été retrouvez les entretiens coups de coeur de l’année!
Iggy, tu as dit que ton personnage préféré dans le livre était le chien…
Iggy Pop – Ça m’est encore arrivé en relisant le livre : en fait il y a trois chiens, et j’ai trois chiens. Et à chaque fois que le chien meurt dans le livre, je suis ému. Ça fait écho à ma vie. J’ai eu un chien au Mexique, un bâtard, on a vécu ensemble quelques années. Mais j’étais de plus en plus occupé, et il était trop gros pour prendre l’avion. J’ai fini par le laisser en pension, en lui rendant visite, c’était mieux que rien. Aujourd’hui, j’ai trois chiens, parce que ma femme voulait des chiens. Au départ, j’étais très jaloux de cette intrusion. Puis je suis devenu très proche de l’un des trois, qui me rappelait mon ancien chien. C’est un bon chien. Je le sais parce qu’il fait des efforts pour être un bon membre de la famille. Il aime nous voir ensemble, ça le rend heureux.
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Michel Houellebecq – C’est aussi ce que j’ai ressenti quand mon chien est arrivé. Il avait trois mois, il était dans sa petite boîte pendant environ deux heures avant d’en sortir. Je lui ai donné des petites tapes et je crois qu’il a compris très vite quels humains il devait aimer. Et il l’a fait. C’était un moment étrange. Je l’ai vu comme une mission. Il avait la mission de rendre ces gens heureux, de les aimer. Et il le fait. C’est incroyable, qu’il le fasse. C’est une source de joie pure, parfaite.
Iggy, tu chantais I Wanna Be Your Dog avec les Stooges. L’un et l’autre, préfèreriez-vous parfois être des chiens ?
Iggy Pop – Je ne peux pas dire dire ça. Et toi, Michel ?
Michel Houellebecq – Je sais parfaitement que c’est impossible. Mais dans la chanson King Of Dogs, tu parles de ça, non ?
Iggy Pop – Oui, mais d’une manière objective. Quand j’avais 13, 14 ans, je vivais avec une chatte. J’avais des boutons, je ne connaissais rien aux relations sexuelles, je n’avais pas l’âge de conduire une voiture, j’étais obligé d’aller à l’école… Bref, je me sentais totalement merdique. Et dès le printemps, je voyais ma chatte qui se roulait par terre en prenant le soleil. Je me disais qu’elle avait une vie plus plaisante que moi, elle devait se sentir vraiment bien quand elle se roulait par terre. Je pense parfois à ça. Objectivement, il doit y avoir pas mal d’avantages à être d’une autre espèce que la notre. Evidemment, il n’y a pas que des avantages, ils ont besoin des hommes pour leur ouvrir les portes.
Michel Houellebecq – Oh là là, ça me rappelle les six premiers mois de mon chien. Je vivais dans une maison où il y avait beaucoup de portes. Quand mon chien avait besoin de sortir, il n’aboyait pas, il pouvait attendre pendant des heures derrière une porte. Je le cherchais, je poussais les différentes portes et je finissais par le trouver. C’était très émouvant. Puis il a appris à aboyer. Ça change la conception de la vie, quand on a un chien. Ça serait presque le sujet d’un livre : comment un chien affecte la conception de la vie.
En dehors du roman, qu’évoquent pour vous les mots “la possibilité d’une île” ?
Iggy Pop – Un bel endroit, débarrassé de tous les problèmes. Ou bien un endroit où mes problèmes sont liés à mes envies, et sont assouvis. Un endroit où j’ai tout ce que je veux, où je suis satisfait. Il y a des moments où je suis sur cette île. Dans les cinq à dix dernières années de ma vie, depuis que je vis à Miami, j’ai connu des moments comme ça, d’exaltation. Quand je peux aller me baigner dans l’océan aux moments où j’en ai envie. Et puis des moments d’épanouissement sexuel et de temps libre. Je suis en train de perdre ça en ce moment, les choses vont un peu trop bien pour moi, ça apporte des responsabilités. Je prends un peu ici, un peu là. Dans le livre de Michel, je suis touché par cette idée qu’il faut revoir ses exigences de vie à la baisse. Petit à petit, le Daniel de la fin se contente de ce qu’il a, et il abandonne l’idée d’avoir plus. Il sait qu’il ne sera pas vraiment heureux, mais ça va aller comme ça. Ces néo-humains au bonheur modéré, toute la question de ce qui fait le bonheur, c’est quelque chose que je comprends vraiment. Quand la maison est rangée, que tout est en ordre dans ma vie, je suis content. En plus, je sais que par rapport à la plupart des gens, je fais partie des privilégiés, gâté par la vie, après tout. Mais c’est difficile, parce que quand tu arrives à un certain âge, les gens commencent à mourir autour de toi. D’abord les parents, puis des gens avec qui tu as grandi. Tu reçois un coup de fil qui dit “devine qui est mort ?”
Et toi Michel, as-tu atteint l’île ?
Michel Houellebecq –Non. Absolument pas. Je suis très anxieux à propos de tout. C’est un peu pervers d’écrire des livres. Le fait d’avoir écrit un bon roman m’a rendu heureux. Mais ce n’est presque rien, on oublie vite la raison initiale qui nous a rendus heureux. Après l’écriture de La Possibilité d’une île, j’étais heureux, je savais que c’était un bon livre. La bonne idée aurait été de mourir à ce moment-là. Ensuite, j’ai eu des problèmes. Je ne suis pas en paix avec la vie, pas du tout. Et c’est vrai qu’après un certain temps, on apprend à ne recevoir que des nouvelles de gens qui meurent. C’est vrai que les gens meurent, ils ne résistent pas.
Iggy Pop, avec son corps de danseur et de super-héros, incarne une puissance physique. Est-ce quelque chose que tu envies ?
Michel Houellebecq – Je n’ai pas exactement cette image de lui, celle de la musculation. Je me souviens d’une très bonne interview d’Iggy, dans les années 70, j’avais 18 ans. Il racontait qu’il avait joué devant des étudiants vêtu d’une robe de femme enceinte, et il se demandait si ce public de merdeux cool allait pouvoir encaisser ça, s’ils le supporteraient… Ça a été un exemple pour moi : quand je suis monté sur scène, pour lire des poèmes, c’était avec le sentiment que les gens ne pourraient pas supporter ce que j’allais leur dire, je savais que je n’étais pas là pour être aimé. A travers les disques et plusieurs bonnes interviews d’Iggy, j’ai appris que parfois, il faut être là pour la détestation. Il faut trouver cette force, c’est un besoin.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Michel Houellebecq – A peu près rien, je suis dans une mauvaise période. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux que le disque d’Iggy existe. Dans une mauvaise période, c’est comme un cadeau de Noël. C’est inattendu, et immérité. Le disque est formidable, il me conforte dans l’idée que le livre était bon. Une de mes personnes préférées dans le rock fait un très beau disque d’après un de mes livres préférés : c’est un rêve paradisiaque pour moi, je ne pouvais pas espérer que ça se produise. Je ne peux que le répéter très bêtement : je suis très heureux que tout cela soit arrivé.
Album Preliminaires (Virgin/EMI), sortie le 18 mai.
DVD La Possibilité d’une île, de Michel Houellebecq (Bac Films)
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