L’un écrit des livres et a sorti un disque. L’autre sort des disques, mais sa vie est un roman. Le prochain album d’Iggy Pop est ouvertement influencé par l’écriture de Michel Houellebecq. Depuis le temps qu’ils s’admirent, il fallait qu’ils se rencontrent. Et parlent de leurs chiens. Tout l’été retrouvez les entretiens coups de coeur de l’année!
Iggy, comment as-tu découvert Michel Houellebecq et La Possibilité d’une île ?
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Iggy Pop – C’est le seul livre de lui que j’ai lu pour l’instant. J’étais tombé sur un article qui m’avait donné envie de le lire. J’ai d’abord lu quelques poèmes traduits, qui m’ont intrigué. J’aime la façon dont j’ai acheté le livre. Je m’apprêtais à partir en tournée, je savais que j’allais avoir quelques jours off en France. A Miami, j’ai donc commandé le livre avant de partir, en traduction anglaise. Je l’ai mis dans mes bagages, avec l’idée de le lire en France. Je me suis retrouvé quelques jours dans cette ville de Normandie où il y a un casino, dans l’hôtel où Proust a vécu, Cabourg je crois. Pendant trois ou quatre jours, j’ai vécu avec le livre. Je me sentais mieux après l’avoir lu, à certains passages, je me disais “ah, toi aussi !”. Je me suis amusé, j’ai été intéressé et impressionné. Ce fut une bonne lecture, voilà tout. Après j’ai rangé le livre, et environ un an plus tard, j’ai été contacté par Erik Lieshout, qui voulait de la musique pour son film. Il ne savait pas que j’avais lu et aimé le livre. J’étais très heureux. A ce moment, je cherchais à faire quelque chose seul, sans groupe. Ça tombait très bien. Je suis devenu assez obsédé par ce projet. J’aurais pu me contenter de leur donner deux chansons en acoustique, tout le monde aurait été content, et j’aurais gagné plus d’argent ! Mais je me suis investi dans le projet, j’avais plein d’idées.
As-tu relu le livre pour préparer l’album ?
Non, j’ai cherché dans mes souvenirs, dans les passages qui ont eu un impact émotionnel immédiat sur moi. Il y avait le passage où le héros passe un mauvais moment avec sa femme et sa copine en Espagne, poum, une chanson. Il y avait le personnage du chien, poum, une chanson. La marche sur la plage, poum, une chanson. J’ai tout fait à l’instinct. La chanson du chien, c’est parce que j’avais vu des images du documentaire où Michel auditionnait des chiens. C’est ce que j’ai vu de mieux dans le documentaire. C’était drôle. Il y avait plus de vie dans le casting des chiens qu’avec les acteurs.
Michel, quand tu écrivais ton roman, écoutais-tu de la musique, avais-tu de la musique en tête ?
Michel Houellebecq – Non, pas vraiment. A part le début de la Messe en si de Bach, c’est une pièce très douloureuse, immédiatement tragique, sur l’agonie du Christ.
Iggy, est-ce que la littérature a toujours été une source d’inspiration pour toi ?
Iggy Pop – Oh oui, j’ai toujours eu un ou deux livres autour de moi, que ce soit William Burroughs ou Ginsberg. Même la lecture d’un magazine merdique peut m’être utile. Le simple fait de lire, les mots en général, c’est important. L’échange entre les mots et soi, ça crée une bulle agréable, c’est à ce moment que naît la musique intime, dans la tête. Celle qui vous protège de la musique extérieure, des idées communes. Les livres sont moins exigeants que les disques, dans un sens. Un livre, c’est comme une guitare acoustique. Je n’aime pas lire sur un écran, j’aime l’objet livre, sa forme. On peut le mettre dans la poche, on peut le poser près de soi, je peux lire en étant bourré… C’est un objet personnel. Alors que la musique me demande de l’énergie. Surtout avec le rock, qui m’attrape et ne me lâche pas. J’en suis à ce point dans ma vie où j’ai besoin d’être réveillé depuis au moins deux heures avant de pouvoir écouter de la musique énergique. Les livres sont moins exigeants, même si ils demandent plus d’attention.
Michel Houellebecq – La musique peut être plus énergisante. Je sais que je lirai jusqu’à la mort, parce que c’est facile, on peut être paralysé et continuer à lire, à y trouver du plaisir. La musique est plus physique. Et parfois, je veux me sentir vivant, sentir que grâce à la musique mon esprit et mon corps vont dans la même direction. La musique est à la fois émotionnelle et physique. J’utilise beaucoup Iggy dans ma vie : je mets un disque de lui, je commence à bouger et je me sens vivant. Alors que la lecture, c’est quelque chose qu’on peut pratiquer à l’agonie, ce n’est pas un signe de vitalité. La musique, même quand elle est désespérée et douloureuse, est un signe de vitalité. L’exception, c’est la dernière période de Liszt, c’est si triste, si proche de la mort, et si facile à approcher. C’est la musique de l’agonie.
Iggy, il y a beaucoup de blues dans ton disque. Dirais-tu qu’il y en a dans le roman de Michel ?
Iggy Pop – Si tu le penses, je ne dirai pas le contraire. Quand tu écoutes une chanson de Muddy Waters, il y a ces choses qui disent “ça ne va pas plaire à tout le monde, mais c’est pourtant comme ça”. Il y a une rébellion du langage : je prends la parole, j’ai quelque chose à vous dire et je me fous de ce qu’on en pensera. Je vois ça dans le livre, oui. Je l’ai relu dans un avion et certains passages qui parlent des relations entre les parents et leurs enfants… L’idée qu’on est esclave de ces petites merdes… Ouah, yeah ! (Il éclate de rire)…
Michel Houellebecq – Je comprends que mon livre puisse faire rire.
Iggy Pop – Mais ma première réaction n’était pas le rire, c’était “ouais, quelqu’un parle pour moi ici !” Et la seconde réaction, c’était la réflexion : est-ce que ce que je lis est juste ? Est-ce que j’ai envie que ce soit juste ?
Michel Houellebecq – Tu as dis quelque chose de très important : “quelqu’un parle pour moi”. C’est exactement ce que j’ai ressenti avec 1969 : quelqu’un parle pour moi, et c’est beau, ça prouve que je ne suis pas une merde. Ça exprime ce que je ressens d’une belle manière, ça prouve que je ne suis pas rien, tel que je suis. Quelqu’un parle pour moi, et il est célèbre. C’est très important pour rester en vie, ne pas mourir avec ses sentiments. L’art est fait pour ça : sentir que quelqu’un parle pour soi, qu’on n’est pas rien.
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