Eblouissant, le grand disque pop britannique de l’hiver n’arrive ici qu’au compte-gouttes : un scandaleux gâchis. C’est une histoire absurde, frôlant le ridicule : une regrettable bévue qui n’empêchera certes pas le monde de tourner mais privera bêtement quelques milliers de fans virtuels d’un groupe écossais du plaisir d’écouter son superbe If you’re feeling sinister. […]
Eblouissant, le grand disque pop britannique de l’hiver n’arrive ici qu’au compte-gouttes : un scandaleux gâchis.
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C’est une histoire absurde, frôlant le ridicule : une regrettable bévue qui n’empêchera certes pas le monde de tourner mais privera bêtement quelques milliers de fans virtuels d’un groupe écossais du plaisir d’écouter son superbe If you’re feeling sinister. L’incident est le suivant : début 97, Jeepster, label anglais de Belle And Sebastian, reçoit diverses offres de distribution française pour son deuxième album, paru outre-Manche depuis quelques semaines. Les enchères montent, montent, montent encore, puis retombent platement, le placier de Jeepster semblant incapable de se jeter à l’eau. Résultat de cette triste session à la bourse du disque : un album qui n’est toujours pas sorti officiellement sur ces terres pourtant toutes acquises à sa cause, des amateurs de nouveautés qui bataillent ferme pour se procurer la chose et un journal qui se voit contraint de souligner les formidables qualités d’un disque introuvable hors des comptoirs spécialisés. Pour un peu, on ressortirait le vétuste vocabulaire costagavrasien machination, complot et autres noms d’oiseaux, tant il paraît contradictoire que ces mélodies généreuses et inusables soient réservées à quelques happy-few. Cette confidentialité gagne-petit, le songwriter Stuart David ne l’a certainement pas souhaitée, lui qui manie au contraire avec une impressionnante dextérité une écriture volontiers tournée sur le monde, la confidence facile. Tout chez Belle And Sebastian est orienté côté soleil, le visage collé à la fenêtre et le cœur sur la main : des guitares rondes et souples, un harmonica radieux, des cordes soucieuses d’étayer les climats de clair-obscur et une voix, surtout, dont le beau grain austère ne parvient jamais à altérer la chaleur naturelle. Musique folk, simple d’accès, parfaite pour les soirées d’été entre amis comme pour les solitudes hivernales. Montage de sentiments contradictoires, fluidité joyeuse des mélodies contre mélancolie obsessive de la voix et des textes, en tout point admirables, séduisant antagonisme musical qui rappellera la première contribution des Catchers, les meilleures heures de Donovan qui n’aurait pas à rougir du bouleversant The Fox in the snow mais surtout l’univers double et troublant de Nick Drake, virtuose inégalé dans l’exercice de l’union entre la glace et le feu. Comme celle du fragile poète anglais, la musique de Belle And Sebastian déroute par son apparente légèreté le piano enjoué de Seeing other people, la rythmique enlevée de Like Dylan in the movies avant d’imposer cruellement le masque de sa profondeur insoupçonnée. Fatalement recommandé.
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