Icis, Les Instants Chavirés

Depuis plusieurs années, le label In Situ (et son fondateur Didier Petit) édite la fine fleur de la musique improvisée : de Jac Berrocal à Daunik Lazro en passant par François Tusques, Joëlle Léandre ou Denis Colin. Depuis plusieurs années, le club Les Instants Chavirés (à Montreuil) relève le niveau des clubs parisiens et programme la part la plus vivante du jazz d’aujourd’hui et de bien d’autres musiques. On dit qu’ils sont alternatifs. Ils allient persévérance, lucidité et fidélité. Il était logique qu’ils fassent alliance. Le coffret de 3 CD est leur premier enfant. Il fait plaisir à voir ­ l’objet est élégant ­ et surtout à entendre.

On dira que trois volumes, c’est beaucoup pour un coffret de musique d’aujourd’hui qui n’a rien de la Pléiade. Et si ce n’était pas assez ? Toujours est-il que chaque CD est dévolu à un collectif différent. Le premier accueille un duo de violonistes, Carlos Zingaro et Dominique Pifarély, venus d’horizons très différents. Ils prennent tous les risques, sauf celui de la médiocrité. Funambules de l’archet, ils inventent cordes à cordes, main à main, une musique subtile bourrée d’événements, de frottements en pincements, en passant par des phrases bartókiennes et des accents tziganes. Le second ­ sans doute le meilleur des trois ­ est pris en main par Guillaume Orti, jeune souffleur plein d’avenir, plus dix complices, parmi lesquels on croisera au passage le guitariste Marc Ducret ou le tromboniste Thierry Madiot. Non content d’être une sorte d’esthète du sax, Guillaume Orti se révèle aussi un compositeur fluide et un leader solide. Sa musique, fondamentalement collective, a des airs de mystère et des lignes de fuite. Elle est une forme de révélation. Le troisième est consacré à Système Friche, ensemble animé par les clarinettistes Jacques Di Donato et Xavier Charles. Rien de convenu ici, mais une série de surprises mélodiques où se mêlent quelques instruments « sans papier » comme la cornemuse, la vielle à roue ou l’oud. De charades sibyllines en charivaris cuivrés, la friche prolifère rigoureusement, telle une herbe sage et folle qui ne pousse jamais où on l’attend. L’ensemble du coffret est, on l’aura compris, un précipité d’envies, au sens, comme disait Pierrot ou Ferdinand, d’avoir envie et d’être en vie. Que demande le peuple ? Des instances chavirées et des instants chavirants. Mission accomplie. Et en beauté…

Icis, Les Instants Chavirés, toute la musique improvisée in situ (In Situ/Harmonia Mundi)

Thierry Jousse

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