Aussi sauvages que poétiques, les Dum Dum Girls jouent la carte du girl power et offrent une nouvelle jeunesse à la pop noisy des sixties.
Imaginer Kristin Gundred déambuler dans les avenues de Beverly Hills revient à peu de choses près à téléporter Lydia Deetz du film Beetlejuice en plein milieu d’un match de beach-volley à Copacabana. Quoi qu’en disent son teint translucide, sa réserve, ses cheveux noir corbeau et sa robe gothique, c’est pourtant bien sous le soleil de Californie qu’a grandi la timide Américaine, originaire de la région de San Francisco.
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Installée depuis à Los Angeles avec son musicien de mari, elle y a même créé I Will Be, milk-shake dense et piquant de pop noisy et punk des sixties qu’on écouterait plus facilement le nez dans la poussière d’une cave new-yorkaise que les pieds dans le sable de Venice Beach. “Cet album n’est pas totalement à l’image de Los Angeles, parce que je ne suis pas moi-même à l’image de cette ville. Je ne m’y suis jamais sentie dans mon élément, ce n’est pas mon habitat naturel. J’aime quand il fait gris, qu’il pleut, quand les choses changent du jour au lendemain, qu’il faut s’adapter. Là-bas, il fait beau tout le temps et il suffit de se laisser porter. I Will Be est une réponse à cette impression d’être coincée dans un lieu trop ensoleillé, étouffant et confortable. Je déteste quand la vie est statique. J’ai essayé de palier à cela par ce disque. Il m’a permis d’introduire des turbulences dans ce quotidien trop lisse”, explique Kristin de sa voix de velours.
Des turbulences, la jeune femme en a en effet traversé. A peine sortis de leur oeuf, c’est dans les locaux du mythique label Sub Pop qu’ont atterri ses morceaux bruts, enregistrés dans son home-studio. Voix et choeurs aériens, mélodies grinçantes : le label de Seattle ne s’y trompe pas et lui propose un contrat. Une signature totalement inattendue pour l’ex-chanteuse et batteuse du trio rock Grand Ole Party. “Etre sur le même label que Nirvana ou The Vaselines est quelque chose d’inimaginable et d’incroyable. J’ai moins peur de continuer à faire ce que je fais grâce à ça, mais je n’arrive toujours pas à croire que ma musique intéresse les gens. C’est surréaliste”, confie-t-elle, gênée.
Sans nom, sans musiciens et sans producteur, l’Américaine se lance alors dans la construction a posteriori de son groupe. Biberonnée aux vinyles des années 50 et 60 de ses parents, inconditionnelle des Supremes, des Shangri-Las, de Bikini Kills, de L7 et du mouvement riot grrrl, son choix penche naturellement pour un groupe de filles. Elle débauche la New-Yorkaise Frankie Rose, batteuse des Crystal Stilts et cofondatrice de Vivian Girls, avant de proposer à une amie d’enfance texane de son mari de les rejoindre à la basse.
Jules, leur guitariste novice de San Francisco, sera la dernière à entrer dans la bande, que Kristin voit comme un véritable gang, une armée de Jedi en talons aiguilles. “L’idée d’avoir un groupe de filles s’est imposée d’elle-même : d’une part, parce que je voulais des harmonies et des choeurs chantés par des voix féminines ; d’autre part, car je souhaitais que l’énergie du groupe soit féminine. Je n’ai jamais appartenu à un groupe de filles. J’ai des amies, mais je les ai toutes connues les unes indépendamment des autres. J’avais envie d’avoir une bande de copines soudées, et que l’on traverse cette expérience ensemble. C’est un peu cliché, mais je crois que dans le fond, je voulais tester une fois dans ma vie le “nous contre le reste du monde”, rigole la brunette.
Baptisées Dum Dum Girls en référence aux Vaselines et à la chanson d’Iggy Pop Dum Dum Boys, les quatre Américaines travaillent à distance pendant que Kristin, devenue Dee Dee, peaufine I Will Be aux côtés du producteur Richard Gottehre (Blondie, The Go- Go’s). “Richard est un homme de compromis, et connaissant sa carrière, j’avais entièrement confiance en lui. Il a parfaitement compris quelle direction je souhaitais prendre : ne pas perdre le son noisy des morceaux tout en soulignant leur aspect mélodique, mettre les voix en avant sans écraser le reste. Il a su donner une certaine chaleur à l’album sans le dénaturer.”
En ressort un disque savamment contrasté, plein d’illusions soniques, de clairs-obscurs où les voix aériennes des quatre musiciennes apaisent les riffs secs des guitares et la brutalité de la batterie, où ballades pop (Rest of Our Lives, Baby Don’t Go) et hymnes rock (It Only Takes One Night, Oh Mein M, Jail La La) se succèdent sans s’affronter. Influencé par le shoegazing, la dream-pop, le garage-rock, le punk et la pop sixties, I Will Be se revendique autant des Shangri-Las que des Jesus & Mary Chain, mais garde les yeux fixés sur l’horizon pour mieux éviter le douloureux piège du revival écrasant.
“Je ne crois pas qu’avoir de fortes influences implique d’être coincée dans le passé. L’art en général s’inspire du passé pour créer le futur. Je ne suis pas le genre de génie qui va inventer quelque chose qui révolutionnera la musique, donc je prends ce que j’aime et j’en fais ma propre version. I Will Be est un titre très juste aujourd’hui. Cet album est la toute première étape de ce que je suis en train de devenir.” On attend déjà avec impatience ses prochaines étapes, ses prochaines agapes.
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