Une de ces jouissives énigmes britanniques, élevée dans le grand trou noir entre Beck et Syd Barrett. “Vous avez dans les mains trente chansons sélectionnées parmi deux cents, enregistrées sur un magnéto quatre-pistes. Musicalement, elles sont analphabètes, sales, et ignorent tout de la haute-fidélité. Enregistrées dans un grenier aux murs et au plafond trop fins, […]
Une de ces jouissives énigmes britanniques, élevée dans le grand trou noir entre Beck et Syd Barrett.
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« Vous avez dans les mains trente chansons sélectionnées parmi deux cents, enregistrées sur un magnéto quatre-pistes. Musicalement, elles sont analphabètes, sales, et ignorent tout de la haute-fidélité. Enregistrées dans un grenier aux murs et au plafond trop fins, elles ont survécu par miracle à la pluie anglaise, aux bruits de sexe des voisins de palier et au brouillage permanent des radios des taxis londoniens. Elles représentent le monde de Baby Bird. Un homme, dix doigts, des chansons à tomber. Pas de Brian Eno aux manettes, de marques de synthétiseurs remerciées au dos de la pochette, de ces crétines listes de participants étalées au verso( « Je remercie Dieu, mes parents et mon chien Médor », quelle honte). On saura juste que Baby Bird est né dans la pire terre anglaise – Telford, soit la Courneuve à perte de vue -, qu’il a grandi en Nouvelle-Zélande, sans doute voisin de Chris Knox, avant de revenir en Europe, à Sheffield, enregistrer quelques chansons dans l’urgence et le dénuement.
On dit généralement de ces auteurs-compositeurs timbrés : « sa musique parle pour lui » stupide petite leçon de psychologie achetée à La Redoute pour définir l’autisme. Sauf que là, hic. Si l’homme parle peu, sa musique, elle, sait à peine s’exprimer, bafouille, cafouille et merdouille dans une langue encore jamais recensée, sauvage et douée. Une langue rudimentaire qui, jamais, ne fait l’éloge facile de la pauvreté. Baby Bird fait avec les moyens du bord, ne se repose jamais sur le paupérisme comme élégant effet de style. Et avec des bouts de ficelle, il tisse plus dense et passionnant que tous les Bayeux, tous les Aubusson de la terre. Des chansons en péril, que l’on prend souvent en route pour les quitter sans avoir le temps de se dire adieu, enregistrées comme ça, sans élégance, sans intro, sans chute, sans normes, Baby Bird, comme son très proche cousin Beck, a trop à dire pour y mettre les formes. Comme le blondinet surdoué, il ignore tout de l’épargne, très mauvais en calcul mais premier de la classe en composition : d’ici le printemps, il promet quatre autres albums déjà composés. En enregistrant ainsi en apesanteur, en refusant de s’ancrer ici ou là, Baby Bird peut tout se permettre : de passer les Beatles au bain d’acide, de se vautrer dans des ballades remarquables, d’imposer une ambiance et un ton magnifiquement personnels. Le temps que vous lisiez cette chronique, il aura écrit deux nouvelles chansons. Glorieuses, enragées, enivrantes.
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