Sur un dixième album empreint de souffle et de poésie, l’artiste britannique se réinvente en beauté.
Dépasser les trente ans de carrière dans le rock est chose assez rare. Mais ce qui l’est plus encore, c’est y arriver sans que le talent ne s’émousse. Parmi la poignée de méritant·es, il y a un cercle encore plus restreint, celui des artistes qui, ayant atteint ce point, parviennent toujours à nous surprendre. C’est au milieu de ce cercle que se tient PJ Harvey.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
I Inside the Old Year Dying l’illustre brillamment : ici, tout étonne. L’interprétation, la production, l’écriture – pas un aspect de ce dixième album ne donne l’impression d’une Polly Jean se reposant sur ses lauriers. Qu’on nous pardonne d’avance cette énième référence à l’amant australien d’alors, mais elle a su tracer de nouvelles perspectives exactement à la manière d’un Nick Cave depuis Push the Sky Away (2013) et la réinvention musicale fomentée sur quatre albums avec Warren Ellis.
Une nouvelle voie
Avec White Chalk (2007) puis surtout Let England Shake (2011), l’Anglaise s’est engagée sur de nouvelles voies, en décentrant notamment son registre vocal. Ici les too-doo-doo qui nous accueillent à l’orée du disque (Prayer at the Gate) l’installent en héritière oblique de Kate Bush. Sur un miraculeux fil tendu entre le susurrant et l’incantatoire, elle traverse ces douze chansons en autant de variations incarnées.
Disque habité mais aussi solitaire, I Inside the Old Year Dying a été enregistré en la seule compagnie des fidèles Flood et John Parish, et les trois artistes ont conçu pour ces morceaux un canevas sonore à mille lieues des sentiers battus. Inattendus, les arrangements évoquent parfois Talk Talk, et plus encore un Radiohead qui aurait poursuivi ses recherches sans se départir de son humble humanité (I Inside the Old I Dying). Le retrait des guitares électriques laisse place à un entrelacs d’atmosphères où viennent aussi se tresser des field recordings magistralement employés. Ces sons fantomatiques (cloches, trains, voix enfantines) introduisent du réel dans le tissu des chansons, mais plus encore semblent intégrer celles-ci au monde qui entoure l’auditeur·ice.
Présences fantomatiques
Et l’écriture concourt à cette déstabilisante sorcellerie. Les textes découlent du long poème Orlam (2022), imaginé par Harvey dans un anglais réinventé et parasité par le dialecte de son Dorset natal. Ce langage d’entre-mondes, “archaïque et futuriste” explique l’autrice, déboîte le temps, qui devient alors un labyrinthe où l’ordre même des chansons déconstruit le fil des saisons.
Le dédale est par ailleurs hanté par la figure d’Elvis Presley. Love Me Tender y est cité comme un lancinant leitmotiv, et le King légendaire s’y promène, mi-Christ mi-soldat vaincu, dans un mélange de mythe et de quotidien qui, mêlé au langage poétique, évoque autant l’Ulysse de Joyce que l’inoubliable Ghosteen (2019) – Nick Cave encore, une dernière fois. Ces visions au lexique étrange transmettent les sensations d’une jeune adolescente dont les repères vacillent. Tel est le sortilège accompli par la poésie de PJ : faire sonner la plus folle ambition comme s’il s’agissait de l’enfance de l’art.
I Inside the Old Year Dying (Partisan Records/PIAS). Sortie le 7 juillet.
Concerts les 12 et 13 octobre à Paris (Olympia).
{"type":"Banniere-Basse"}