Cabossé, cafardeux et grandiose, Steve Earle revient des tréfonds de Nashville. Et défie le blues, la country ou le diable. “Quand viendra la fin du monde, les seuls survivants seront moi, Keith Richards et les cafards.” Fanfaronnade frondeuse, propre à faire hérisser les moumoutes shampouinées de frais sous les Stetson de Nashville. Fils prodigue, Steve […]
Cabossé, cafardeux et grandiose, Steve Earle revient des tréfonds de Nashville. Et défie le blues, la country ou le diable.
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« Quand viendra la fin du monde, les seuls survivants seront moi, Keith Richards et les cafards. » Fanfaronnade frondeuse, propre à faire hérisser les moumoutes shampouinées de frais sous les Stetson de Nashville. Fils prodigue, Steve Earle n’est guère en odeur de sainteté à Opryland. Le gamin studieux (« Guy Clark m’a enseigné tout ce que je sais des chansons narratives ») y accumule les frasques, dans le vain espoir d’égaler les navrants exploits de ses mentors (« Townes Van Zandt : un excellent professeur, un modèle détestable »). Divorces (quatre), séjours en taule, cures de désintoxication : à défaut d’occire ses démons, Steve Earle a fait de son mieux pour s’autodétruire. Ostracisé par la bonne société country, malmené par les gros bras de la police (sa voix vira au rauque lorsqu’un représentant de l’ordre trop zélé lui écrasa la gorge durant une rixe), viré par sa maison de disques, il prend le maquis. Trois ans passés dans les quartiers noirs de South Nashville, où il devient le client préféré des dealers de tout poil. L’an dernier, rédemption inespérée par le biais d’un (sage) album de country acoustique Train a comin’ , suivi d’une chanson terrassante d’émotion horrifiée, Ellis unit one, composée pour la BO de Dead man walking. Aujourd’hui sort un disque maquisard, I feel alright. Passé quelques rock tout en pectoraux (la veine Springsteen, fatalement flatulente), I feel alright plonge dans la préhistoire, déterre des chansons simples et décharnées. Poor boy, c’est un Buddy Holly étique corrodé par des pluies acides ; Billy and Bonnie ressuscite la pulsion lancinante du Bo Diddley beat ; Hurtin’ me hurtin’ you chante le masochisme amoureux sur fond de ballade soul à la Otis Redding. Surtout, I feel alright s’immerge dans un blues blafard, bancal et déboussolé. Jamais un Blanc n’avait chanté de la sorte. Cocaine can’t kill my pain est au Cocaine d’Eric Clapton ce que Dead man est à Little big man : ce blues maléfique, tourmenté par une douleur taraudante, grince, crisse et envoûte. South Nashville blues va à la rencontre des démons intimes de Skip James ou Robert Johnson. La guitare a contracté une mauvaise fièvre, la voix dérape, râle et regimbe. Ici, le substrat religieux de la country n’est qu’un lointain souvenir, ces chansons sont parfumées au soufre. Steve Earle, fier-à-bras jusqu’au-boutiste, défie Lucifer en combat singulier (« Tu as ta fourche, j’ai mon flingue » The Unrepentant), ses personnages rouleurs de mécaniques se font berner par des diablesses jumelles de Linda Fiorentino dans Last seduction (Billy and Bonnie, Now she’s gone), la seule note d’espoir étant apportée par l’extraordinaire voix de gorge de Lucinda Williams, invitée pour le duo final (You’re still standin’ there). Mélodramatique, cabossé et cafardeux, I feel alright chemine clopin-clopant au long de sentiers tortueux. Steve Earle, miraculé, y capture enfin pleinement l’esprit pirate de son idole de jeunesse et signe son propre Exile on main street.
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