Héros discret de la pop française, l’ancien amuseur public de L’Affaire Louis Trio est de retour. Homme de bien et de lubies, Hubert Mounier sort dans le même temps un album et une BD autobiographique. Critique et écoute.
Le petit artisan indépendant et idéaliste qui sommeille en tout songwriter pop se réveille parfois avec des bulldozers devant sa porte. On se souvient d’Andy Partridge, il y a quelques années, contraint de mettre en grève son groupe XTC face à l’implacable surdité de sa maison de disques. Hubert Mounier, à bien des égards cousin français du précédent, a pour sa part reçu de son précédent label une lettre de licenciement et dû engager un procès aux prud’hommes comme un employé classique. C’est l’un des épisodes cocasses et cruels que l’on retrouve dans La Maison de pain d’épice – Journal d’un disque, la formidable bande dessinée qui raconte la gestation de La Maison de pain d’épice, troisième (et formidable) album solo de l’ex-chanteur de L’Affaire Louis Trio.
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Derrière sa planche à dessin, Hubert redevient pour l’occasion Cleet Boris, signant sa BD du nom du personnage qui lui servait d’armure zazou lors des périples à succès des années 80-90, quand la France entière dansait sur sa Chic planète et embarquait à bord du somptueux vaisseau Mobilis (in mobile). D’un trait clair et turbulent, qui rappelle le maître Yves Chaland, et avec l’humour acide et élégant de Dupuy & Berberian, Journal d’un disque fait la chronique précise de l’enregistrement en même temps qu’il purge quelques abcès anciens – la gloire, le retour de bâton trempé dans l’alcool – et d’autres encore à vif.
Ainsi, on y apprend avec stupeur et tristesse que la relation quasi filiale qu’entretenait depuis des années Mounier avec son plus brillant disciple Benjamin Biolay fut entaillée lors de l’enregistrement de l’album. Omniprésent au départ, Biolay se retrouvera très vite pris dans le tourbillon de La Superbe – avec ses dommages collatéraux dans la presse people –, abandonnant son camarade en pleine campagne. “J’ai appris avec le temps à rebondir sans me faire trop mal. Que les choses se soient passées comme ça, c’est dommage d’un point de vue personnel et amical, mais artistiquement ça a peut-être apporté une autre impulsion à l’album.”
S’il n’hésite pas à louer l’apport primordial de Biolay sur le choix des chansons, Mounier n’en est pas moins heureux d’avoir saisi ce coup du destin pour prendre le sien un peu plus fermement en main que sur les deux précédents. “J’avais envie d’accentuer encore un peu plus mon côté pop, avec l’envie de jouer ces chansons sur scène. Un peu plus rock aussi, ce qui correspond plus à ma culture qu’à celle de Benjamin. Mon père écoutait Elvis, j’ai connu ma période hard-rock, on n’a pas eu tout à fait la même éducation.”
Reste que les influences profondes de Mounier (et de Biolay), qui affleurent le plus nettement de La Maison de pain d’épice, tournent toujours autour du chaudron magique des Beatles et de XTC. L’angélisme mélodique à la McCartney prend d’emblée sous son aile Rien de mieux à faire, très accueillante porte d’entrée de cette maison du bonheur, et la visite complète de l’endroit n’assombrira jamais tout à fait l’optimisme retrouvé du propriétaire. “C’était bizarre parce que j’allais de mieux en mieux, et pendant ce temps la France allait de plus en plus mal, il y avait comme une balance.”
Dans la BD, des pages attendries sur une idylle sans nuage et sur la paternité se racornissent soudainement lorsque surgit la disparition d’un proche – François Lebleu, le Bronco Junior de L’Affaire Louis Trio, mort d’une attaque cérébrale en 2008. Dans les chansons de Mounier également, il y a toujours ce voile d’anxiété qui recouvre légèrement la douceur apparente des choses.
La Maison de pain d’épice, métaphore amusée de la déconfiture de l’industrie du disque, renferme ainsi à la fois les notes d’espoir et leurs contrepoints mélancoliques d’un garçon qui a connu l’âge d’or et ses lendemains de plomb, les farandoles de desserts et la traversée du désert. Le savoir toujours en piste a quelque chose de profondément réconfortant.
BD La Maison de pain d’épice – Journal d’un disque (Dupuis)
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