S’agit-il vraiment d’un “Parti pris”, comme dans le cas d’expositions précédentes organisées selon ce principe et partant du choix opéré dans les collections du Louvre par Derrida (“Mémoires d’aveugle”), Greenaway (“Le Bruit des nuages”) ou Starobinski (“Largesse”) ? Plutôt de la proposition d’Hubert Damisch, historien d’art et philosophe, traitant de ce qui fonde le dessin […]
S’agit-il vraiment d’un « Parti pris », comme dans le cas d’expositions précédentes organisées selon ce principe et partant du choix opéré dans les collections du Louvre par Derrida (« Mémoires d’aveugle »), Greenaway (« Le Bruit des nuages ») ou Starobinski (« Largesse ») ? Plutôt de la proposition d’Hubert Damisch, historien d’art et philosophe, traitant de ce qui fonde le dessin en raccourci, le trait considéré pour ce qu’il est plutôt que pour ce qu’il représente. D’emblée le problème est pointé avec la seule oeuvre faisant exception à une sélection graphique : le Concept spatial/Attente de Fontana, désigné comme une Incise ou l’art d’amorcer une série de dessins par une toile lacérée.
La salle qui suit continue de perturber les repères courants en montrant d’autres traits que ceux de notre civilisation : là où elle suppose une pointe (stylet, crayon), le pinceau chinois sur la soie trace, moins proche de la peinture que de la calligraphie, feuilles de bambou, rochers, leur ombre. Retour en Occident, retour au contour, celui du profil qui se découpe à coup de traits successifs, plus marquants peut-être dans le cas d’un bambin sans nom que dans celui du Christ enfant reconnaissable de l’étude préparatoire à la Vierge au rocher de Vinci ; intriguant autant dans le cas d’un Pleurant du xvème siècle que dans celui d’un très proche Homme drapé debout ingresque.
Puis il est question de l’Aspect, de la Géométrie, de l’Expression, enfin des Histoires que peut raconter le trait. A la rescousse, Wittgenstein (1889-1951) sous l’égide de qui ce « Traité » se trouve placé, dont les aphorismes scandent un espace mesuré ainsi « Ce dont on ne peut parler il faut le taire », extrait du Tractatus logico-philosophicus, à titre de clôture du parcours avec Sans titre (The Break) de Barnett Newman.
Mais aussi « L’oeuvre d’art ne veut pas transmettre quelque chose d’autre mais elle-même » ou « Ne pensez pas mais voyez ! » Car la vertu de cette démonstration est de se souvenir que le discours n’y est que proposé voir dans le catalogue l’exergue emprunté à Valéry : « J’accompagnerai ces images d’un peu de texte que l’on puisse ne pas lire, ou ne pas lire d’un trait. » Discours sur le fond duquel les oeuvres se détachent, individuellement (lavis d’Uccello, mémorable feuille de Delacroix) ou jouant entre elles de parallèles et développements particulièrement heureux. Conjugaisons anatomiques pour Picasso-Tintoret-Dubuffet, paysagères pour Dubuffet-Mondrian-Klee-Corot. Propositions dont la liberté, la pertinence dans la mise en regard des pièces exposées (jusqu’à une solarisation de Man Ray) excèdent très largement le trait d’esprit.
Anne Bertrand
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