Avec un troisième album richissime sous ses airs austères, l’Américain How To Dress Well continue d’inventer un r’n’b de science-fiction : une musique pour danser en flottant. Prodigieux. Rencontre, critique et écoute.
Blaise Pascal finissait ainsi un courrier : “Je voudrais avoir écrit une lettre plus courte, mais je n’en ai pas eu le temps.” Ainsi l’Américain Tom Krell envisage-t-il la musique sur son essentiel troisième album, “What Is This Heart?” : un long et patient travail d’épure, de filtrage, d’opulence comprimée, densifiée. On y entend encore et toujours des gospels translucides, des vapeurs de r’n’b, des échos lointains, espacés d’electronica.
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Une musique taillée dans la part des anges
Mais, comme le propose le titre, un coeur gros s’est réveillé dans cette musique un peu distante et comateuse, lui donnant une langueur inédite. Ces chansons ne semblent pas vraiment composées : grisantes et volatile, elles semblent avoir été taillées dans la part des anges. Album jalon de cette nouvelle façon, sous codéine et sous la banquise, d’envisager le r’n’b – de Weeknd à Acre Tarn –, “What Is This Heart?” sample le sombre Velvet Underground comme il titille les fesses en liesse : la moindre des choses à exiger d’un homme qui a aussi bien repris Janet Jackson que Smog – ç’aurait pu être, entre autres, Luther Vandross et Brian Eno, Prince et Harold Budd.
“Tout ce qui compte est que la musique me bouleverse, que ce soit une pièce classique d’avant-garde d’Akos Rózmann ou un tube comme Pieces of Me d’Ashlee Simpson. L’un comme l’autre me déchirent à l’intérieur.”
« Tout n’est qu’instinct »
La réflexion sur cette manière unique d’assembler l’inconciliable n’ira pourtant pas plus loin, Tom Krell réfutant toute approche intellectuelle de sa musique. “Je n’ai aucun rapport abstrait ou théorique à la musique, tout n’est qu’instinct”, martèle-t-il. Et rajoute : “La musique, sous toutes ses formes, a sauvé ma vie, en m’offrant une grammaire pour exprimer tout ce que je ressentais, notamment ma tristesse. C’est ma thérapie. Elle m’a sauvé de la folie. Je lui dois le respect.”
Tom Krell a ainsi commencé la musique à 15 ans : il explique qu’après des années à pourchasser le cool, il a finalement déniché le beau, et que ça l’a stupéfait.
“Au début, un flash de beauté me suffisait, je le samplais dix fois et j’avais ma chanson. Aujourd’hui, chaque instant de ma musique doit être magique, chaque seconde m’obsède. Je suis devenu un maniaque du détail. Sur 2 Years on, j’ai passé des jours à accumuler des pistes de synthés sous la guitare, la voix et le piano, à la Steve Reich. Pour ensuite les effacer d’un clic.”
Une cinématographie imparable
On imagine ainsi à quel prix s’est arraché l’apparente simplicité de ces sublimes See You Fall ou Words I Don’t Remember, avec quelle maniaquerie s’est négocié leur dénuement. Même dans les titres les plus étonnamment touffus, dynamiques comme l’étrange et presque pop Repeat Pleasure, Tom Krell écrit souvent en creux, en suggestion, laissant l’auditeur compléter la musique, mais aussi la fresque et le film qui l’accompagnent.
Car cette musique est, imparablement, cinématographique : les images multiples apparaissent dès qu’on ferme les yeux. Pas un hasard quand on connaît l’obsession du jeune Américain pour tout un cinéma “qui laisse beaucoup de place à la subjectivité, à l’imagination du spectateur”. Ainsi, quand on l’interroge sur le formidable Pour Cyril, symphonie pour breakbeats, cordes et lignes brisées, il répond que le titre est un hommage à Cyril, frimousse du Gamin au vélo des frères Dardenne, ses héros absolus.
“Ma façon d’utiliser l’espace et le silence est proche de leur travail. Cette chanson est comme une prière. Car même si on ne croit plus en Dieu, on a toujours besoin de prier.”
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