Avant de fonder la maison de mode et le label Kitsuné, Gildas Loaëc a été l’un des “managers” de Daft Punk. Le Breton était présent à l’époque du premier album Homework, dont on fête les 20 ans ce mois-ci.
Comment rencontres-tu Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, les deux Daft Punk ?
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Déjà, un certitude : ils ne sont plus Darlin’, leur premier groupe, mais déjà sans doute Daft Punk. Je n’ai aucune mémoire des dates, contrairement à Guy-Man qui lui, se souvient sans doute de la date de notre première rencontre ! Ils étaient tous les deux, mais où ? Dans le Finistère, avec le journaliste Loïc Prigent, que je connaissais depuis le lycée, on faisait des fanzines, et c’est possible qu’on les ait rencontrés pendant les Transmusicales de Rennes. Ou alors c’était dans une fête rue Norvins à Paris…. En fait non, je les connaissais de ma boutique de vinyles Street Sounds, rue Bailleul. Ils écoutaient beaucoup de techno de Detroit et des trucs de Chicago.
Tu te souviens peut-être mieux de leur personnalité ?
Ils n’ont pas changé, la dynamique demeure la même. Thomas était d’entrée plus avenant, plus ouvert. Guy-Man était plus introverti, avec une personnalité très attachante sur la durée.
Comment t’es-tu retrouvé au milieu des années 90 impliqué dans la house-nation ?
Grâce à mes fanzines, faits avec celui qui reste mon meilleur ami : Loïc Prigent. Les Transmusicales de Rennes nous avaient demandé de réaliser un fanzine quotidien pour couvrir leur programmation Rave ô Trans, au début des années 90. On a alors commencé à rencontrer des DJ’s, un monde qui me passionnait. Grâce à ces contacts, j’ai ouvert avec le DJ Patrick Vidal, la boutique Street Sounds à Paris, en face de Street Machine, un magasin de skate cool où l’on trouvait les fringues signées Spike Jonze ou Sofia Coppola. On sélectionnait des vinyles venus de New York, Chicago, Detroit, de la house, du garage, mais aussi pas mal de trucs venus de Londres ou Manchester. J’ai toujours préféré les remixes aux originaux, j’adorais ce que faisaient Paul Oakenfold ou Andy Weatherall avec les chansons de The Farm ou Happy Mondays. J’étais aussi fan de KLF, je préférais la dance au rock à guitares. Avec Loïc, on prenait le ferry de Roscoff à Plymouth pour traîner à Bristol ou à Londres, faire nos premières raves, dès la fin des années 80.
Tu as retrouvé cette excitation au milieu des années 90 à Paris ?
Il y avait des magasins comme Rough Trade ou BPM, des DJ’s comme Deep, Garnier, Sven Løve, Gregory, tout le monde se connaissait. C’était une petite famille, les prémisses de la French Touch. On se réunissait dans des fêtes, parfois dans des maisons de banlieues, tous passionnés par la house. On y retrouvait aussi les gens du fanzine Eden, de radio FG, Christophe Vix, Alan Braxe, les fondateurs de Respect… Des Anglais venaient aussi organiser des soirées, il se passait toujours quelque chose.
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Comment Daft Punk est sorti du lot ?
Parce qu’ils étaient les meilleurs, malgré leur jeunesse (rires)… Ils avaient d’entrée l’envie de faire du son un peu dur, à la Woody McBride, de la techno radicale et en même temps, par l’essence même de ce qu’ils sont, obsédée par la mélodie. Ce qui à l’arrivée donne des ovnis comme Da Funk. C’est aussi une question de rencontres, de chance, toutes les planètes étaient alignées – sans minimiser leur talent. Ça commence avec leurs premiers titres sur un label écossais en vue, Soma, qui leur ouvre les playlists des DJ’s anglais et leur offre une dynamique internationale. Il y avait ensuite Emmanuel de Buretel, qui les avait fait venir chez Virgin et qui comptait sur leur potentiel et leur succès pour prendre de l’envergure européenne au sein de son label. Il a beaucoup poussé pour que les Anglais soient motivés par Homework. Ça tombait bien, car les radios anglaises cherchaient un nouveau souffle, un nouveau son, des histoires inédites. Mais la clé, aujourd’hui comme il y a 20 ans, demeure cette question qu’ils se posent constamment : “Que faire de nos vie, de nos journées ?” Ça primait déjà et de là découle le projet artistique, en phase avec la connaissance de tous les ressorts et secrets de l’industrie. Car dès Homework, un des talents de Daft Punk, en plus de l’écriture et de la production, c’est de raconter une histoire qui touche et connecte les gens. Ils ne s’arrêtent pas à la musique mais construisent l’univers qui va autour. Il y a un vrai soin à ne pas respecter les coutumes, ils se présentent d’entrée différemment, interviennent à leurs conditions dans les médias. Ils cherchent à déranger l’ordre établi, pour donner de l’espace aux auditeurs, pour laisser l’imagination des gens travailler. C’est très important pour eux, ça, dès le début.
Cette maîtrise du sujet leur vient de la famille de Thomas ?
Le père de Thomas, le producteur Daniel Vangarde, a connu avant eux de gros succès internationaux. Il a une vraie connaissance du marché du disque et de la façon dont ça fonctionne. Il a toujours été très proche de Thomas, l’a conseillé.
Ton rôle de manager consistait en quoi aux débuts ?
Mon rôle et mon titre n’ont jamais été vraiment définis. Comme eux, j’ai toujours eu beaucoup de chance. A l’époque où je tenais ma boutique de disques, ils ont sorti leur premier single chez Soma, ont commencé à faire quelques dates. C’est là que j’ai sympathisé avec eux. Comme la boutique périclitait, le très généreux Guy-Man m’a proposé de m’héberger chez lui. J’ai été son co-locataire de façon grâcieuse pendant quelques années. Comme j’étais sur place, de fil en aiguille, j’ai commencé à participer à leur aventure, en m’occupant notamment de leurs labels respectifs, Roulé pour Thomas, Crydamoure pour Guy-Man. Je n’ai jamais été manager, j’étais un super assistant à tout faire, comme chacun dans la petite équipe qui gravitait autour du groupe. La terminologie, c’était uniquement vis-à-vis de l’extérieur. Nous, on aidait à réaliser, à appliquer des idées qui venaient de Guy-Man et Thomas. Car le seul manager de Daft Punk, c’est Daft Punk.
Vous passiez beaucoup de temps ensemble ?
Nous étions toujours ensemble, nous étions très chanceux. Nous voyagions beaucoup, dans de bonnes conditions, c’était incroyable pour des gens si jeunes. Tout était fun, il n’y avait pas de contraintes, pas d’horaires.
Comment s’est passé l’enregistrement de ce premier album ?
Tout le concept et l’album ont été développés dans la chambre d’adolescent de Thomas, chez ses parents avenue Junot. Il l’avait transformée en studio, sa penderie servait à entasser les instruments. Ça faisait à peine quinze mètres-carrés, il y avait des câbles et des machines dans tous les coins. Ils ont fait l’album sur une table de mixage Mackie de huit ou dix pistes ! Tout a été enregistré et mixé sur place. Pour tester les morceaux, Thomas sortait un ghetto-blaster bas de gamme. Si la chanson sonnait sur cet appareil, alors elle sonnerait n’importe où ! Même la pochette a été shootée dans sa chambre.
Sentiez-vous qu’il se passait quelque chose pendant l’enregistrement de Homework ?
Pour moi, ça restait de la musique principalement instrumentale, je n’en saisissais pas le potentiel. Je n’ai vraiment saisi l’importance du groupe que lorsque je les ai vus sur scène aux Grammy Awards avec Stevie Wonder et Nile Rodgers. Je l’avais peut-être ressenti déjà à l’époque des concerts avec la pyramide à Coachella. Je n’étais pas assez éveillé à l’époque de Homework pour m’en rendre compte. J’étais très jeune, je n’avais aucun élément de mesure, je ne pouvais pas sentir que c’était exceptionnel. Aujourd’hui, je rencontre plein de jeunes artistes qui veulent rejouer cette histoire, s’en inspirer, mais nous avions à peine une chance sur un million. La vision et le talent, je le sais aujourd’hui, les placent parmi les génies. C’est dur à affirmer quand on connaît si bien quelqu’un, mais je le pense vraiment.
C’est quoi, la force de leur musique, dès Homework ?
Il y a un vrai supplément d’âme, une sincérité, une envie de transmettre de l’émotion tout en conservant une intégrité et une soif d’expérimentation. Ils ne vont jamais à la facilité, leur degré d’exigence est ultime, dans tout et depuis toujours. Ils ont conservé une énergie propre à la jeunesse, mais déjà teintée de mélancolie, de nostalgie.
Tu as conservé un exemplaire de Homework ?
Je ne suis pas du tout fétichiste. Tout ce que je possède de cette époque, c’est un des écussons brodés Daft Punk qui a servi pour illustrer la pochette. Je devais être un peu débile à l’époque, mais j’avais l’impression d’être dans un flow, que ça serait comme ça tous les jours. J’ai beaucoup appris à leur contact tout en, bizarrement, ne conservant que peu de souvenirs précis, d’anecdotes. Grâce à eux, je sais que rien n’est établi, qu’il faut sans répit imaginer des propositions différentes, se remettre en question à chaque fois. J’ai eu la chance de vivre ça, on n’était pas nombreux à en faire partie au quotidien. Un lien très très fort nous unit toujours, je ressens beaucoup d’admiration et de gratitude à leur égard.
Propos recueillis par JD Beauvallet
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