Sans mari (le suicidé Kurt Cobain), sans fille (placée chez sa grand-mère), Courtney Love a reformé Hole, son groupe rageur des années 1990. Aujourd’hui, l’amazone est clean et sort le disque de la dernière chance. Rencontre à L.A. et écoute intégrale de Nobody’s Daughter.
Chateau Marmont, Los Angeles, dimanche 11 avril, 13 heures. “Courtney arrive, elle est à vous dans cinq minutes. Elle fait des exercices de méditation dans sa chambre. Vous allez voir, elle est au top”, explique sa manageuse dodue, tatouée – et surtout très douée pour faire attendre les gens en douceur. Le rendez-vous, d’abord fixé au samedi, avait été reporté après plusieurs heures passées dans l’hôtel de luxe blindé où se pressaient stars hollywoodiennes (Teri Hatcher, poitrine refaite et pigeonnante ; Matthew Perry, fringant), scénaristes, producteurs et jeunesse friquée de L.A., débarquant, tonitruante, en Aston Martin ou BMW.
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Seize heures. Cette fois, c’est la bonne. Courtney fait son entrée dans le patio du Marmont, très élégante dans son nouveau look d’actrice chic des années 1940 – un ensemble de soie blanche, un collier de perles – loin des tutus extravagants et des collants déchirés qui ont fait les grandes heures de son vestiaire kinderwhore (mot à mot “enfant- pute”) au début des années 1990. “Désolée, je suis méga à la bourre, dit-elle en s’asseyant, les yeux verts immenses, les lèvres roses nacrées, le fond de teint très appuyé. J’ai une affreuse gueule de bois. J’ai bu trop de rosé. Ça fait longtemps que je n’ai pas bu de vin, la dernière fois c’était à Saint-Paul-de-Vence dans le domaine qui appartient aujourd’hui à Brad et Angie. Le gin me rend cinglée et méchante. Mais je n’ai jamais été une grosse buveuse.”
Certes. Le problème de Courtney a toujours été la dope. Après une décennie chaotique, rythmée par des abus en tout genre et artistiquement vide, Courtney est clean. Elle a arrêté la coke, les médocs (notamment l’Adderall, un dérivé de l’amphétamine employé pour lutter contre l’hyperactivité), et passé quelque cent jours en cure de désintox fermée. “Dit comme ça, ça fait peur, mais en vrai ça ressemble à une grande maison où il n’y a rien à faire, précise-t-elle. Les cinq dernières années ont été dures. J’ai fait une dépression nerveuse. Perdu tout mon fric. Gagné du fric. Perdu des mecs, eu d’autres mecs. Perdu ma fille. Maigri. Grossi. La vie, quoi. Ça a été une sale période, avec des hauts et des bas. C’est fini tout ça.”
Son entourage semble avoir du mal à accepter le virage, comme en témoigne la soirée houleuse qu’elle a passée la veille. “Dans ma chambre, tous ces gens de L.A. s’accrochaient à moi et me léchaient le cul. Ils me disaient : “Courtney, viens prendre de la coke avec moi, suis moi, tiens.” J’ai essayé d’être immorale, décadente mais le coeur n’y était pas. J’avais envie d’être seule, de bouquiner et d’écouter des disques. C’est affreux cette cour. Tout ça parce que je sors un nouveau disque.”
[attachment id=298]Six ans après l’échec d’American Sweetheart, un album solo “à la production pourrie” qu’elle dit n’avoir jamais aimé, Courtney a décidé de reformer Hole. Le dernier album du groupe, le pop et flamboyant Celebrity Skin remonte à 1998. “J’avais surtout envie d’en finir avec Courtney Love, dit-elle. Je ne la supporte plus. Je ne veux plus d’elle dans ma vie. Aujourd’hui, je suis Courtney Michelle. Michelle, c’est mon vrai prénom, tu sais. De toute façon, je fonctionne mieux en groupe. Et Hole, c’est mon groupe.”
Son groupe, à tel point qu’en 2010, elle n’a conservé aucun des membres historiques (le guitariste Eric Erlandson ou la bassiste Melissa Auf der Maur). A la place, Courtney a engagé une horde de jeunes Anglais. Micko, le nouveau guitariste, a seulement 24 ans.“Il était fasciné par Kurt. L’autre jour, cet idiot m’a dit : “C’est cool qu’il se soit suicidé à 27 ans.” Je lui ai répondu que non, c’était vraiment pas cool. C’est impardonnable ce que Kurt a fait à sa famille.” Cobain. Présent, quoi qu’elle fasse, comme un fantôme encombrant, une marque indélébile.
Pas une interview sans qu’on lui pose une question sur son mari (une balle dans la tête il y a seize ans), leurs années de défonce, les derniers démêlés de l’héritage Nirvana. “J’en peux plus qu’on me considère comme un objet associé à Kurt Cobain. Je veux divorcer d’ailleurs, qu’on en finisse.” Pas une interview non plus sans qu’on lui demande des nouvelles de leur fille Frances, 18 ans, dont elle a récemment perdu la garde pour la seconde fois. L’affaire est actuellement devant les tribunaux. En attendant, Frances vit chez Wendy Cobain, la mère de Kurt. “Je pense qu’elle reviendra, explique Courtney. On a eu un autre rendez- vous avec les avocats il y a quelques jours, on va trouver un terrain d’entente. Je veux que Frances fasse des études supérieures, elle le veut aussi. C’est fou la situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui. Je n’ai plus de famille. Il ne me reste que mon groupe.”
Mauvaise mère (en 1994, Vanity Fair l’accusait quelques semaines après la naissance de Frances d’avoir pris de l’héroïne pendant sa grossesse), veuve démoniaque, Yoko Ono trash, junkie, martyre, furie, salope, mauvaise fille. Telle est l’image de Courtney qu’on retrouve d’ordinaire dans la presse, qui du coup néglige ses talents de songwriteuse.
A la tête de Hole, Courtney a pourtant marqué les années 1990 avec des concerts explosifs, crachats et stage diving compris, et trois disques forts qui retracent ne seraitce que par leurs titres sa vie, son parcours dans la célébrité et la pop-music. Pretty on the Inside (1991), concentré de rage adolescente, encore sidérant de violence électrique vingt ans plus tard ; Live through This (1994), disque au titre tristement prémonitoire, qui sort quelques jours après la mort de Cobain ; Celebrity Skin (1998), bijou pop flamboyant composé avec son ancien amant Billy Corgan, déclaration d’amour-haine à Hollywood.
A l’époque, Courtney traverse une bonne passe. Elle vient de jouer dans Larry Flynt de Milos Forman et sa performance a convaincu le Tout-Hollywood, qui lui fait des courbettes. Dans ses interviews, elle semble fascinée par ce nouveau monde qui lui apprend à se sentir belle dans ses robes Versace et a l’air de se foutre de sa réputation, contrairement au milieu punk-rock qui l’accuse d’avoir trahi la cause ou buté Cobain.
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