En quelques années, une groupie forte en gueule s’est métamorphosée en diva charismatique à la célébrité planétaire. Courtney Love avait pourtant délaissé la musique pour le cinéma et les faits divers jusqu’à Celebrity skin : attendu depuis quatre ans, le nouvel album de Hole enterre le grunge le sourire aux lèvres. En apparence.
L’été a été long et chaud pour Hole : trois ans de studio. Depuis le classique et pourtant biscornu Live through this, Courtney Love s’était souvent perdue, parfois trouvée surtout au cinéma. Une star plus régulièrement repérée dans la rubrique « potins mondains » que dans celle des disques de l’année. Son groupe devenait pendant ce temps un trou noir, gâchant son temps dans de stériles séances d’enregistrement entre New York, Memphis ou La Nouvelle-Orléans, trop occupé à panser ses plaies internes la mort de son bassiste, les absences chimiques de sa batteuse pour penser à son futur.
On eut même parfois l’impression que Hole n’était plus que le hobby d’une diva hollywoodienne en pleine éclosion, fuyant dans le confort des studios de cinéma les dangers qui la guettaient dès que le rock et ses tentations mortelles repointaient leur nez. On accordait alors la médaille de la patience au guitariste Eric Erlandson, toujours droit et disponible dans cette tempête, ou à la douce bassiste Melissa Auf der Maur, condamnés au bon vouloir de Courtney Love, attendant que les tournages s’achèvent pour que cet album, attendu depuis 94, prenne enfin une forme.
Il faudra l’intervention déterminante de Billy Corgan, prêté par des Smashing Pumpkins pourtant pas chômeurs, pour que Hole sorte du trou. En ouvrant la porte aux démons pop de son ancienne maîtresse, Corgan lui offrira les clés de Celebrity skin, nouvel album effrontément acidulé, obsédé par la ville où le groupe retrouva finalement sa voie : Los Angeles. Un Los Angeles uniquement appris dans les chansons, des Beach Boys aux Go-Go’s, un Los Angeles dont on découvre l’envers du décor, les tas de fumier au pied des palmiers : car si les mélodies se sont abreuvées de soleil, chaque mot est ici une digue contre l’euphorie, contrebalançant la liesse des refrains.
Un chaud-froid particulièrement violent et inédit, comme des Bangles chantant Houellebecq. Un chaud-froid qui va parfaitement à Courtney Love : car si l’extérieur donne toutes les apparences de la sagesse et de la sérénité bonne mère, sage actrice , le tourbillon qui continue de graviter autour d’elle en dit long sur la violence et la déraison tenant toujours en otage ses humeurs et ses désirs.
En attendant le démarrage de cette longue et rare interview, on passera ainsi un après-midi entier en compagnie de la garde rapprochée de Courtney Love : une armée au bord de la crise de nerfs, aussi affairée que terrorisée. On verra une attachée de presse sortir en larmes de la chambre royale où Courtney Love, en compagnie charmante et pourtant pondératrice de Melissa Auf der Maur et Eric Erlandson, reçoit la presse : la bienvenue à coups de cendrier est visiblement une routine ici. On verra des employés de sa maison de disques tenter de faire signer aux journalistes présents un contrat ahurissant : un honteux ramassis d’exigences crasses, interdisant tout dialogue, orientant la conversation vers la vulgaire promotion, transformant le journaliste en simple porte-parole de la ligne officielle de Hole.
Mais heureusement, dès que la porte de la chambre s’ouvre, Courtney Love et son groupe oublient tout de ces contrôles policiers, de cette langue de bois imposée. Chaleureuse, drôle, bouillonnante, avec un charisme ensorcelant, Courtney Love parle en toute simplicité. Elevée dans le rock parmi les grandes gueules de Liverpool, où l’avait attirée cette vieille canaille de Julian Cope au début des années 80, elle n’a pas oublié l’arrogance flamboyante de ses hôtes, nous accueillant, avec un sourire enjôleur, par un redoutable « Excusez-moi pour le retard, mais je viens de piquer une crise de nerfs. Des cendriers ont volé. »
Nous voilà donc prévenus : le moindre faux pas se paiera en cendrier volant. A Los Angeles, ce jour-là, l’été est chaud, avec beaucoup de froid dedans. Il ressemble à l’album de Hole.
JDB
Aujourd’hui, écrire des chansons est-il encore quelque chose d’important pour toi
Courtney Love Ce serait une victoire pour moi d’être reconnue comme songwriter. Mon personnage public a fait beaucoup d’ombre à la songwriter. Je ne l’avouerai jamais à un journal américain, mais ça me fait du mal. Je sais que Hole est très sous-estimé et que ma vie privée en est responsable. C’est la faute de mes hommes (sourire)… Si j’étais lesbienne, si j’étais moins obsédée par les garçons, si je ne tombais pas aussi facilement amoureuse, notre musique serait jugée à sa juste valeur. Je n’aurais jamais cru que ça jouerait contre nous. Mais je ne suis pas très futée je ne suis même pas allée au lycée et je ne comprendrai jamais la mentalité du mainstream. Ce qui a au moins un avantage : nous forcer à travailler dur. Comme j’étais médiocre en maths et nulle en musique à l’école, je suis aujourd’hui incapable de traduire mes idées en musique. Les chansons sont bien là, dans mon cerveau, mais je n’arrive pas à trouver les mots pour les expliquer aux autres. Pourtant, je sais pertinemment ce qui fait une grande chanson, du brûlot punk à la chansonnette grand public. Mais entre le cerveau et la bouche, je n’arrive pas à trouver le raccourci.
As-tu besoin d’un traducteur pour donner forme à tes idées ? Est-ce pour cela que Billy Corgan, des Smashing Pumpkins, a été appelé à la rescousse ?
Je venais juste de terminer un film au moment où nous sommes entrés en studio et je n’avais aucune envie de retrouver le style de vie lié au rock : ça me faisait peur, même si je savais que rien ni personne ne me forçait à m’autodétruire. Il n’est pas obligatoire de mourir pour être une rock-star, mais je ne le savais pas jusqu’à récemment. Donc, replonger dans le rock me terrifiait. Et puis, je ne savais pas vraiment si j’étais capable d’écrire ce disque. Le reste du groupe, c’est ma famille : pour me secouer, j’avais donc besoin de quelqu’un de l’extérieur. Quelqu’un que j’admire, de plus fort que moi, de plus capable. Billy Corgan a été merveilleux pour moi. Il n’est resté que douze jours, mais il a su nous remettre sur le droit chemin. Pendant douze jours, j’ai été docile ce qui n’est pas dans mon caractère. Ce qui nous rapproche aujourd’hui, c’est que nous sommes tous les deux des survivants : les seuls de cette scène à être encore debout, à avoir encore quelque chose à offrir. Quand je regarde autour de moi, les autres sont morts ou lessivés par les drogues, le cynisme ou l’ironie. Certains savent encore écrire de sacrées chansons, mais ils se sentent obligés de les sagouiner, de les faire durer sept minutes pour que les radios les rejettent. Ils en sont encore à clamer qu’ils ne vendront jamais leur âme au diable.
De cette génération, Billy Corgan est celui qui s’est penché avec le plus d’obsession sur l’écriture.
Parfois jusqu’à ressembler à Billy Joel (rires)… Heureusement pour lui, je filtre son travail. Et parfois, même s’il a généralement bon goût, ce qu’il propose est ignoble ou simplement banal. Il n’était pas là pour nous écrire des chansons, mais pour rectifier les miennes. Avec moi, il s’est comporté comme un professeur de maths qui connaît les solutions du problème mais ne veut pas les communiquer. Souvent, je m’enfermais dans les toilettes et me tapais la tête contre les murs jusqu’à ce que ça saigne. Mais il ne lâchait pas ses réponses, il voulait que je les trouve seule. Un vrai sadique. Mais ses leçons m’ont énormément aidée.
Etes-vous passés du jeu à la compétition ?
Il n’y a pas de compétition entre nous, je sais qu’il est bien meilleur artisan que moi. Mais je sais aussi que mes paroles et mes goûts sont supérieurs aux siens. Je l’adore, mais douze jours, c’était le maximum : après ça, les cendriers auraient volé et j’aurais perdu tous mes cheveux. C’est sans doute pour cela que nous n’avons jamais été un couple très solide lorsque nous étions ensemble. Mais là, j’avais besoin de quelqu’un pour m’aider dans la mise en scène. Pour moi, un grand réalisateur doit avoir cette densité, maîtriser tous les détails, comme Sam Peckinpah. Et pour l’instant, je ne suis pas capable de diriger moi-même. Quand j’aurai atteint cette densité, plus personne ne pourra me faire la moindre remarque. Là, je sens qu’on s’en est approchés, j’ai fait ce disque sans la moindre concession, sans le moindre calcul. Avant, je réagissais beaucoup plus à l’avis des autres, j’étais plus flexible. Hole, depuis le début, était un groupe en réaction : « OK, je suis la fille la plus en colère de la terre et pas toi. » En explorant ce côté de ma personnalité, je me suis débarrassée de nombreux démons. Curieusement, j’en avais encore plus avant le groupe. Vous pouvez imaginer le genre de citoyenne que je serais devenue si je n’avais pas eu Hole (sourire)… Moi, je ne veux même pas y réfléchir. J’aurais pu me ranger, devenir BCBG, ou actrice renommée…
Nous avons reçu les paroles du nouvel album quelques jours avant la musique : vu la noirceur des mots, on s’attendait à des mélodies moins joyeuses. Le contraste est saisissant.
C’est une juxtaposition que j’aime dans la musique. J’ai essayé dur comme fer de ne pas être cynique dans les paroles. Beaucoup de mélancolie mais moins de cynisme : c’est la grande différence. J’espère que cet album sera un petit rayon de soleil dans la noirceur et le cynisme de la musique de ma génération.
Longtemps, chez Hole, la musique était un écho à cette noirceur des mots. Qu’est-ce qui a motivé ce virage mélodique ?
La pop a toujours été sous-jacente dans le groupe. Moi, je viens du punk-rock, sans la moindre approche théorique de la musique. J’ai appris exclusivement de mes pairs ou en écoutant des albums des Beatles les autres membres du groupe étant autrement plus sophistiqués. Et même si j’écris beaucoup de nos musiques, je le fais de manière assez primitive. Depuis des années, le disque que j’entendais dans ma tête n’était plus punk, mais un disque de pop énorme. Je ne pouvais pas laisser filer cette belle vision, il fallait que je l’impose, que j’en devienne l’architecte. Mais comme je n’ai pas de formation, j’avais peur que ma construction s’effondre. Il m’a donc fallu lentement apprendre à bâtir.
Tu viens de l’underground, du punk : as-tu parfois dû refouler ces aspirations pop pour te conformer à ce culte de l’underground ?
J’ai toujours été honnête là-dessus, c’est même la raison pour laquelle je me suis fait virer de Babes In Toyland : j’écoutais trop REM. Et quand je jouais avec Faith No More, j’essayais de leur faire reprendre des chansons des Smiths. Mais dès que j’ai été leader d’un groupe, avec des rescapées de Babes In Toyland et de L7, nous avons immédiatement joué de la pop, je les faisais même s’habiller en écolières sages et jouer de la Rickenbacker (rires)… Et même si je jouais de manière féroce, brutale, j’aspirais dès le début à devenir un artisan de la chanson. Si j’avais continué sur cette voie, je serais probablement beaucoup plus habile aujourd’hui. Mais il m’a fallu passer par la déstructuration de notre premier album, par ces chansons viscérales. Car, entre-temps, j’avais découvert la scène new-yorkaise, la no-wave, Pussy Galore… Et je me suis dit que j’arriverais peut-être à m’approprier cette musique et sa liberté, que je parviendrais un jour à mélanger le côté viscéral du punk-rock et la maturité de la pop. J’aurais voulu avancer sur les deux chemins en même temps. Dans mon coeur, ils ont la même valeur.
Regrettes-tu la décadence de la pop-music, sa vacuité actuelle ?
Je regrette qu’il n’y ait pas plus de gens subversifs jouant de la pop-music. Parce qu’on se sent plutôt seul dans la place (rires)… Mais c’est assez jouissif de penser que Celebrity skin va atteindre les mêmes résultats de vente que la BO de Titanic… Des disques aussi énormes que ça ceuxde Guns’N’Roses ou Nirvana ont réussi à influencer à leur façon la culture américaine… Ça peut changer pas mal de choses pour les femmes de ce pays, ça repousse pas mal de clichés sur les femmes dans le rock. L’autre soir, je suis allée voir Garbage. Il y a dix ans, elle se serait sans doute fait siffler par les mecs, mais là, ils étaient obligés de se prosterner devant elle. Beaucoup de vieilles habitudes vont être secouées. Des filles, dans des garages, vont se dire : « Merde, moi aussije peux composer un tube, je n’ai pas besoin de signer avec un petit label comme Kill Rock Stars pour impressionner mes copains. Je peux être capitaliste sans honte. »
Les chansons de Celebrity skin paraissent très spontanées. On a du mal à croire qu’elles sont passées par tant de mains, tant de fausses pistes.
Il y a pourtant eu beaucoup d’impasses. Comme La Nouvelle-Orléans, où nous avons gâché deux mois à traîner avec Marilyn Manson. C’était tellement vaudou que notre maison a fini par cramer (rires)… Il y a aussi eu du gâchis à Memphis, au moment où je tournais Larry Flynt j’avais tellement grossi que je pouvais à peine bouger. Du coup, je faisais un tel régime que j’étais à bout de forces. New York a aussi été une erreur : nous étions atroces. Je me disais que si la flamme me quittait, j’arrêterais immédiatement. Et pendant un moment, j’ai cru que j’étais finie, qu’il valait mieux en rester là. Je n’étais pas prête à me prostituer, j’avais autre chose dans ma vie que la musique et je ne voulais pas sortir un disque moyen. C’est à Los Angeles que le groupe s’est retrouvé. Et il existe une grande tradition de singles angelenos, des Doors à X, des Go-Go’s à Jane’s Addiction, des Beach Boys à Fleetwood Mac… Tous ces groupes ont chanté Los Angeles, il y avait là une incroyable tradition à relancer. J’adore cette ville sans doute une preuve de mauvais goût. Le dernier album avait été enregistré à Seattle et on y sentait la ville. Dans celui-ci, seul Northern stars est une chanson inspirée par Seattle.
C’est effectivement la plus triste : on dirait Patti Smith.
Merci. C’est la plus belle chanson du disque, celle qui équilibre l’ensemble. J’ai cherché à créer une ambiance à la Herman Melville, un peu comme le capitaine Achab naviguant sur les mers glacées à la recherche de quelque chose qu’il ne trouvera jamais.
Le thème de l’eau, de la noyade même, revient également dans les chansons ou sur la pochette.
Los Angeles est une histoire d’eau. Une histoire de vol d’eau. Il y a quelques siècles, avant que l’on ne vole l’eau, tout ceci n’était qu’un désert. Il existait une vallée verte pas loin d’ici, Owen’s Valley, baptisée la Suisse de Californie. Mais on leur a volé l’eau pour irriguer Los Angeles et la vallée est devenue un désert. Nos jardins reposent sur du faux, sur du vol : voilà pourquoi Los Angeles n’a pas d’âme. Mes voisins sont des stars d’Hollywood que je vois, le matin, arroser leur colline sans la moindre raison… Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai dédié le disque aux eaux volées de Los Angeles. Sans doute parce que cette ville sans âme a été la seule à me protéger. Et pourtant, je hais le climat, la pluie de Seattle me manque. Mais ici, je suis en sécurité. Le thème de la noyade, lui, vient de la mort de Jeff Buckley. Quand nous l’avons apprise, Melissa et moi avons commencé à être obsédées par cette idée de noyade, de garçon en train de couler.
Les paroles de Playing your song ou Boys on the radio semblent régler des comptes intimes. Est-ce plus facile pour toi en chansons ?
Playing your song et Awful sont effectivement des règlements de comptes, des chansons cyniques. Au début, Awful était une longue diatribe contre le punk-rock, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas faite pour le commentaire social. Avec Playing your song, l’idée était d’écrire la dernière chanson grunge de l’histoire. Je sais que c’est un peu grotesque, mais les gens savent que je peux être ridicule. La dernière chanson grunge racontant comment on écrit la dernière chanson grunge, comment on ne peut plus en écrire après. Il y avait de la vengeance dans l’air. Beaucoup de comptes à régler. Mais même s’il y avait largement de quoi faire, je ne pouvais pas en nourrir un album entier qui n’aurait intéressé personne. Alors j’ai plus écouté mon coeur, même si le désir de vengeance est toujours là. La colère ne me quitte pas. Quelques secondes avant que vous n’entriez, il y a eu une bagarre ici, une crise de nerfs. Quelqu’un s’est pris un cendrier dans la gueule. Et ce n’était pas la première fois aujourd’hui. Pourtant, je fais beaucoup de yoga, j’essaie vraiment de me calmer. Avec ma fille Frances, je n’ai piqué qu’une crise en cinq ans.
Est-ce le reste du groupe qui paie les pots cassés ?
Sans les membres du groupe, je serais incapable de faire de la musique. Ça ne me dérange pas de jouer l’idiote célèbre car c’est comique, c’est comme être une drag-queen. Mais le groupe, c’est du sérieux pour moi. Et je ne suis pas assez solide pour être dictatoriale. Eric Erlandson (guitares) et moi, par exemple, sommes trop proches. Il était dans la salle d’accouchement quand Frances est née il est même le seul à ne pas s’être évanoui. C’est Eric qui tient le groupe, j’ai besoin de lui. Il suffit de l’entendre jouer de la guitare pour saisir son importance.
Cet esprit de famille te manque-t-il à Hollywood ?
Enormément. J’ai forcé Eric à venir avec moi à l’avant-première de Batman et il s’est ennuyé à mourir. Moi, je faisais mon boulot de star d’Hollywood, je discutais avec les metteurs en scène un truc qui m’amuse sincèrement. J’adore être ainsi prise en charge, habillée de robes merveilleuses… Mes copines actrices sont tellement jalouses de voir qu’avec Hole j’ai une famille, un gang. On a beau être Robert De Niro, jamais on ne se retrouve sur scène face à 25 000 fans. Je suis tellement reconnaissante d’avoir les deux, de pouvoir échapper à l’étroitesse d’esprit du rock. Et même si Hollywood est très conservateur, je me suis parfaitement fondue dans cette communauté. On dirait la cour d’un lycée, avec ses histoires nulles, ses ambitions, ses divas. Et pourtant, curieusement, je trouve ce monde plus humain que celui du rock. Sans doute parce que les musiciens viennent en majorité de milieux très modestes, qu’ils ne sont pas très éduqués, ils se font systématiquement escroquer pour leur premier contrat, se font offrir des tonnes de drogue. Je connais plus de gens dans le rock qui se font réveiller à 4 h du matin par un coup de téléphone leur apprenant la mort d’un copain que dans le cinéma. Pour qu’une star de cinéma soit resplendissante, il faut lui épargner tout stress. Dans le cinéma, les gens autour de moi ne pensent qu’à me rendre positive alors que dans le rock tout est sombre et négatif autour des groupes. La vie y compte pour du beurre. Au fond de moi, le rock aura toujours la priorité. Mais j’adore aussi l’inutilité, la frivolité de jouer dans une petite comédie. J’en ai besoin. Je sais parfaitement passer de l’un à l’autre, il n’y a jamais la moindre confusion. Sauf la fois où je suis venue à la répétition en costume Armani, parce que j’avais un rendez-vous avec un réalisateur juste après (rires)… C’est drôle de jouer de la guitare en costume Armani beige. Je peux me le permettre : ma crédibilité est tellement accrochée à mes basques que je ne pourrai jamais m’en débarrasser. Même si je le voulais. Et pourtant, officiellement, ma crédibilité n’existe pas, je n’ai jamais attendu la moindre médaille de l’underground. Comme je le dis souvent, « Cred shreds » la crédibilité détruit. Elle a fait beaucoup de victimes dans ma génération. Depuis 92, le leitmotiv de Billy Corgan est « Courtney, sors-toi de ces histoires de crédibilité. » Même si, secrètement, c’est quelque chose qu’il recherche lui-même.
Es-tu, aujourd’hui, plus capable de rire de ton personnage ?
Récemment, je me suis retrouvée au mariage du pornographe Larry Flynt, à poser entre une star du X et un propriétaire de bordels. Tout mon crédit féministe s’est retrouvé, ce jour-là, au fond des toilettes. J’ai aussi dîné avec le grand patron de Disney. Là, c’est quand même au-delà de Spinal Tap (rires)… Mais je n’oublie pas d’où je viens : tout à l’heure, j’ai croisé dans la rue mon ancien patron, du temps où j’étais danseuse dans un club de strip-tease. C’est tellement surréaliste que c’est forcément risible.
Tu parlais d’être dorlotée par l’industrie du cinéma. As-tu peur de retrouver la scène et ses excès ?
Quand je suis allée voir Garbage dans les coulisses, ça sentait la bière et la pisse. Derrière moi, il y avait un type de Seattle, une rock-star que je connais à peine, qui m’a dit « Hey, Courtney, on va faire un tour dans les chiottes tous les deux ? » Et puis quelques minutes plus tard, Shirley est montée sur scène, et là, j’étais jalouse. Mais si Hole doit remonter sur scène, il faudra vraiment nous bichonner. Dans les loges, il faudra que ça sente bon, qu’il y ait des fleurs (rires)…
En tournée, crains-tu de retrouver les tentations, l’autodestruction ?
J’ai peur. Même si on a beaucoup changé, je ne suis certaine de rien. J’ai aujourd’hui plus d’estime et de respect pour ma vie, mais je sais que cette flamme m’attend. A moi de ne pas me laisser brûler, de trouver une façon d’apprivoiser cette énergie. Car je sais que le public veut me voir cramer, mourir en direct. Bob Dylan explique à quel point il lui était devenu nécessaire de se retenir, de ne pas tout donner dans ses paroles. Il a donc développé tout un système de sous-titres, de codes… Dans mes paroles, il y a désormais des anagrammes, des messages secrets, des phrases entières empruntées à Pavement, Joy Division ou Shakespeare… L’idée, c’est de se servir de la facilité d’accès de la pop-music pour faire passer autre chose, pour élever le niveau. Il faut s’économiser. Parfois, Melissa porte des boules Quiès en répétition. Ça me rend dingue. « Qu’est-ce que tu fous ? Tu joues avec nous ou non ? Euh, j’essaie juste de protéger mes oreilles. » Et c’est elle qui a raison. Mais comment brûler sans détruire sa chair et son âme ?
Il y a cette phrase terrible sur l’album « It’s better to rise than fade away » (« Mieux vaut se relever que se consumer à petit feu ») , qui répond à la note de suicide où Kurt Cobain citait Neil Young : « It’s better to burn out than to fade away » (« Mieux vaut se cramer que se consumer à petit feu »).
C’est ma déclaration de foi. Mais sera-t-elle suffisante pour me protéger quand je me retrouverai face à 20 000 personnes ? Aurai-je assez d’énergie en moi pour faire face ? Les gens n’ont pas idée de l’enjeu pour moi. Ils me demandent ce que je vais porter, si je vais encore mettre le pied sur les retours de scène. Je ne suis pas Madonna, je n’assiste pas à des réunions marketing pour décider de ce genre de choses. Aujourd’hui, je suis venue directement de l’école de ma fille, où il y avait une petite remise de diplôme. Et quelqu’un, en arrivant ici, m’a dit « Euh, tu vas garder tes fringues de maman pour l’interview ? Oui et alors ? Tu veux que je mette un pantalon en cuir ? » Cela dit, il n’y a rien de mal à se déguiser un peu, ça peut être une façon de se protéger, comme PJ Harvey avec son look Maria Callas… Marilyn Manson, c’est sans doute la seule façon qu’a trouvée Brian, leur leader, pour se défendre… L’avantage, quand on vient comme moi de l’underground, c’est qu’on est rodé un rodage qui peut être fatal. Mais au moins, sur ce genre de choses, on est honnête, on ne joue pas de rôle. Le disque est peut-être parfois un peu surproduit, un peu lisse, mais la musique reste spontanée. Les fausses notes et les accidents sont toujours là : ça, c’estgrâce aux femmes, Melissa et moi, alors qu’Eric aspirait à plus de perfection.
Ta voix a beaucoup évolué sur ce disque. Est-ce une personne différente qui chante ?
Je ne peux pas me changer. Tout ce que je peux faire, c’est prendre en compte mes nouvelles valeurs, comme le respect de soi. Brûler sans se brûler, ne plus considérer ma vie comme un sacrifice… Pour répondre plus simplement, j’ai pris des cours de chant, j’avais un coach sur cet album. Mais ce n’est pas parce que j’ai vieilli que nous allons donner des gentils petits concerts sages. OK, je ne jouerai plus certaines chansons dans lesquelles je ne me reconnais plus, comme Teenage whore. Mais sinon, la seule différence, c’est que les gens ne se demanderont plus si je vais mourir avant d’atteindre les coulisses. Et que cette fois-ci, ça se jouera dans les stades.
Tu es maintenant très entourée par tes managers, tes assistants, presque coupée de toute réalité. N’est-ce pas un danger pour ta musique ?
(En colère)… Mais je dois me protéger des médias. Ces putains de journalistes américains ne sont pas, dans l’ensemble, prêts à accepter une femme de pouvoir. Le groupe ne les intéresse pas. L’autre jour, j’ai viré une connasse d’Australienne qui voulait juste savoir si j’avais vu le cul de Ben Affleck ou ce que je pensais du physique de Matt Dillon… J’ai été trop accessible dans le passé, au nom de ces âneries punk-rock. Maintenant, je m’économise. Les discussions passionnées, je les garde pour mes amis.
Te souviens-tu de l’adolescente qui a débarqué, au début des années 80, à Liverpool ?
Avant Liverpool, ma vie ne compte pas. Ce voyage est l’une des choses les plus importantes de mon existence. Ce n’était pourtant qu’un accident : j’avais tanné ma mère pour aller en pensionnat en Irlande, et là, j’ai rencontré Julian Cope qui m’a fait venir chez lui, à Liverpool. Rien de romantique : il m’a juste donné les clés de chez lui, je ne savais même pas qu’il était une pop-star. Pour tout le monde, là-bas, j’étais la petite tarée américaine que Julian Cope avait découverte. Leur musique m’a secouée à un âge où mon corps était encore en formation, où mon cerveau n’était pas encore fini. Un disque comme Porcupine, d’Echo & The Bunnymen, serait un triomphe s’il sortait aujourd’hui… Ils sont d’ailleurs remerciés en premier sur le disque car je leur dois énormément. Ecoutez ma façon de chanter, d’écrire : je leur ai beaucoup volé y compris cette façon de jouer avec des clichés idiots. Liverpool a été une grande école pour devenir une rock-star… J’y ai appris que l’arrogance n’était pas forcément un défaut. Ian McCulloch et Julian Cope m’ont énormément enseigné. Ce fut fondamental pour moi. Alors, fatalement, je suis déçue quand j’apprends que Julian est en train d’écrire un livre sur moi. Je suis certaine que ça va être méchant et ça me rend triste. Alors que tout ce que je voulais, à l’époque, c’était l’impressionner, qu’il soit fier de sa trouvaille. Je n’avais que 15 ans… Comment aurais-je pu imaginer qu’un jour il en ferait un livre ?
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Hole, Celebrity skin (Geffen/Universal).
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