Un an après son escapade avec Zooey Deschanel et leur duo She & Him, M Ward revient avec en solo avec Hold Time. Un album country folk de toute beauté, équilibre parfait entre chordes et son lo-fi, sentiers mélodiques connus et approche contemporaine de la production.
Hold time… A lui seul le titre proustien du sixième album de M Ward semble résumer le projet musical qui anime depuis huit ans ce musicien et songwriter basé à Portland : tenter de retenir le temps, le malaxer, l’étirer, et surtout trouver comment faire cohabiter dans ses chansons résurgences du passé, formes esthétiques éprouvées (country, rock, folk, surf, honky-tonk… tout un pan de la musique populaire américaine des cinquante dernières années) et expériences du présent.
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Car si les chansons de M Ward sont si précieuses, vitales, et s’incrustent durablement dans l’épiderme, c’est précisément parce qu’elles parviennent à mêler sentiment d’éternité, d’immédiatement connu, et intimité profonde, comme si il elles ne parlaient qu’à vous. “Je crois que tout est une combinaison entre du vieux et du neuf, explique Ward, avec ses yeux sombres, pénétrants. Je ne suis pas intéressé par le rétro, par la recréation du passé ou de formes de productions déjà éprouvées. Je pense juste qu’il est impossible de faire comme si le passé n’avait jamais existé et de prétendre créer quelque chose à partir de rien. L’important, c’est de parvenir à un équilibre qui semble bon et porteur de sens.” Faire sens, le musicien y est souvent parvenu : rien à jeter ou presque dans la discographie touffue de Matt Ward, qui ne cesse de s’imposer comme un des songwriters les plus doués et singuliers de sa génération. Depuis ses débuts solo en 1999 avec Duets For guitars, un album de country-folk longtemps resté confidentiel (réédité en 2000) sur lequel le jeune homme se cache derrière sa guitare et ose à peine poser son filet de voix à la Roy Orbison, il a enchaîné les albums brillants. Repéré par Howie Gelb de Giant Sand qui lui met le pied à l’étrier en 2000 en sortant Duet for Guitars 2 sur son label Own Ow Om Recordings et le fait jouer en première partie de Giant Sand, Ward n’explose artistiquement qu’en 2003 : sur Transfiguration of Vincent, il pose mieux sa voix, trouve ce son si particulier à mi-chemin entre échappées rétro et audaces plus contemporaines. Le disque, qui n’a pas pris une ride, aligne chef d’œuvres (Sad Sad Song, Vincent O’Brien) et reprises de haute volée (un Let’s dance de Bowie somptueux et tire-larmes).
Après un honorable mais mineur Transistor Radio (2004), Ward frappe à nouveau très fort avec Post War, variation brillante sur les conflits et ravages – qu’on devine tout intérieurs. Parallèlement, le musicien dessine, avec ses nombreuses collaborations (The Decemberist, My Morning Jacket, Cat Power, Giant Sand, Howe Gelb, Neko Case, Grandaddy, Scout Niblett, Beth Orton, Norah Jones), la cartographie d’un nouveau paysage folk américain particulièrement vivace et passionnant.
Pourtant, des deux côtés de l’Atlantique, Ward n’est toujours pas reconnu à la hauteur de son talent, même si sa collaboration avec l’actrice-chanteuse et it girl Zooey Deshanel l’an passé a contribué à attirer l’attention médiatique sur lui. Ensemble, Ward et Deschanel ont enregistré She & Him, un disque de chansons doucement rétro, chantées par Deschanel ou à deux voix, et produites par Ward. Une expérience très enrichissante qui l’a beaucoup inspiré au moment d’enregistrer Hold Time. “Grâce à She & Him, j’ai appris à beaucoup mieux utiliser les cordes et les orchestrations, explique-t-il. C’est très facile avec ce type d’instruments de tomber dans un trop plein émotionnel, de créer des ambiances trop tristes. Ce n’est pas un risque que je cours réellement avec une guitare. J’ai été particulièrement attentif à ne pas tomber dans cet écueil sur Hold Time.”
Un pari remporté haut la main. Enregistré, comme les précédents à domicile sur un petit quatre-pistes avant d’être réenrengistrées en studio à Portland, Ohama et Los Angeles, le disque sonne comme la quintessence de ce qu’a produit Ward jusqu’ici. Car si l’on peut, à première écoute, se laisse abuser par ces chanson à l’évidence trompeuses et avoir l’impression que l’Américain se répète, Hold Time révèle au fil des écoutes sa perfection, sa grande subtilité. Bluffé par le traitement sonore, qui parvient à l’équilibre parfait entre cordes et lo-fi, émotions extrêmes et marivaudages (Lonesome Me, avec Lucinda Williams), on tombe à genoux devant le songwriting.
Avec quelques bribes narratives, qui sonnent comme autant de possibles, Ward a ce don de déclencher chez l’auditeur un cinéma intérieur d’une rare puissance : un homme s’adressant à une femme dont “le comportement fut au-delà de l’entendement la nuit dernière” (Hold Time, plus beau titre du disque et déjà un des chefs d’œuvres de l’année), un oiseau qui tente de sortir de sa cage (la somptueuse ballade Jailbird).
Et aussi beaucoup d’histoires de pêcheurs. Une figure qui lui fait-on remarquer, traverse toute sa discographie. “Je ne sais pas pourquoi j’aime autant les pêcheurs, répond M Ward, amusé. J’aime l’idée de cette simple tradition, ancestrale. Je pense qu’il y a beaucoup de similarités entre pêcher et écrire des chansons.” On s’incline sur toute la ligne.
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