Sur son premier album, United States of Horror, le duo américain Ho99o9 fusionne rap et punk dans un cri politique. Monstres de scène, ils ratiboisent tout sur leur passage. On les attend mi-juillet à Paris, au festival Afropunk.
Si l’on devait dessiner Ho99o9, notre main ne tracerait ni visages ni corps, mais un doigt d’honneur, certainement orné d’une bague argentée en forme de tête de mort. Le duo américain est à l’image du titre de son premier album sorti début mai, United States of Horror : d’une violence plongeant ses racines dans la société américaine, des banlieues délaissées où les gangs règnent en maîtres jusqu’aux Noirs désarmés tués par des policiers en pleine rue. Contrairement à son écoute difficilement soutenable d’une traite, sa traduction en live est d’une puissance immédiate et totale.
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C’est courant avril, dans les studios de L’Album de la semaine de Canal+, que l’on se prend l’une des claques de l’année. Accompagnés d’un batteur efficace, theOGM et Eaddy, les deux Afro-Américains à la tête de ce patronyme crypto-satanique à base de six renversés (prononcez “horror”), déploient une énergie cathartique qui nous frappe et nous caresse, nous secoue non pas pour nous jeter à terre mais pour nous élever, nous rappeler la force de notre propre voix. Les références s’y mêlent, ici le phrasé du rap, là la posture du punk ou la décharge du hardcore.
Les vidéos, des condensés de bruit et de fureur
L’un finit torse nu bombé, tel un gladiateur dans l’arène ; l’autre, masqué, se roule par terre en se touchant l’entrejambe de façon salace, cintré dans une robe à crinoline qui abat les stéréotypes de genre. Masculin et féminin se fondent dans un brouillard épais, entraînant à leur suite nos repères musicaux, sociétaux, culturels, jusqu’à ce qu’au fond du tunnel ne clignote plus qu’un seul et unique message : “Lâche prise, putain.”
A l’origine, ce n’est pas l’écoute de leurs morceaux qui nous a mis un direct à l’estomac, mais le visionnage de leurs clips. Condensés de bruit et de fureur, ces vidéos fonctionnent comme les alarmes successives d’un même réveil qui ne s’arrêterait que lorsque nous aurions enfin les yeux grands ouverts sur le monde. United States of Horror place Eaddy dans la peau du Alex d’Orange mécanique, forcé de regarder un mur d’écrans diffusant des images du monde d’hier et d’aujourd’hui : Ku Klux Klan, violences policières, rassemblement hitlérien, prison, Black Panthers, voitures brûlées, poings levés… Le message est clair.
“Notre album est dur parce que le monde est dur. Notre violence est vécue”
Les deux personnes que nous retrouvons en loges n’ont rien à voir avec les fous furieux que l’on vient de voir sur scène. Eaddy déroule ses histoires d’une voix calme ; theOGM tire sur un pétard après s’être assuré que l’odeur ne nous incommode pas. Tous deux sont avenants, cool, détendus. La colère qui inonde leur musique affleure pourtant à la surface de leurs phrases. “Notre album est dur parce que le monde est dur. Notre violence est vécue. Si nous avions eu une voiture, de l’argent, nous ne parlerions probablement pas de ça ! Nous parlons de ce que nous voyons, de ce que nous connaissons”, explique theOGM.
Tous deux sont originaires de banlieues chaudes du New Jersey, Elizabeth et Linden pour theOGM, Newark pour Eaddy. Tous deux ont été élevés dans la peur, la violence, le racisme, l’absence de perspectives d’avenir, de liberté d’expression. “On a grandi avec le hip-hop des nineties, Wu-Tang, Nas… On ne pouvait de toute façon pas écouter autre chose sous peine de passer pour des weirdos, raconte theOGM. Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai vu l’énergie qui se dégageait d’un concert de punk, où les gens se poussaient les uns les autres sans jamais se battre… Il s’agissait de se décharger de sa frustration, de sa colère, sans tomber dans la haine. De là où l’on vient, si tu pousses quelqu’un, il te frappe. Si je mettais un jean serré ou du vernis à ongles, on me traitait de tapette. Mais non, enfoiré, je suis juste à l’aise avec ma sexualité !”
“On a immédiatement connecté et on est restés collés”
La fusion du rap et du punk-hardcore vient d’Eaddy. C’est lui qui, au lycée, décide de suivre une bande de gens bien lookés jusqu’à New York. Et se retrouve parachuté à un concert de Ninjasonik dans un immeuble désaffecté de Brooklyn. De retour chez lui, Eaddy fouille le MySpace du groupe, découvre The Death Set, Japanther et toute une scène lo-fi. “Je me suis mis à boire, à me défoncer. Si je m’étais cassé le cou, je m’en serais tapé, je pense.” En 2009, il rencontre theOGM dans un centre commercial du New Jersey. L’un est passionné de rap, l’autre de punk, ils discutent et bientôt ne se quittent plus. “On a immédiatement connecté et on est restés collés”, s’esclaffe Eaddy.
Ho99o9 naît en 2012. L’année d’après, dégoûtés de ne pas figurer au line-up de l’Afropunk Festival de Brooklyn, les deux amis réservent un stand de merchandising et s’en servent pour donner un concert surprise entre deux live. L’année suivante, ils y sont officiellement programmés. Comme ce mois-ci lors de l’édition française du festival. Le New Jersey n’offrant pas d’avenir et New York se révélant saturée de stress et de mépris, Eaddy et theOGM prennent le large pour Los Angeles, encouragés par un de leurs amis qui les met en relation avec un manager.
Le mode de vie chill parfumé à la weed et baigné de soleil leur sied à merveille. Ho99o9 se consacre entièrement à la musique, multiplie les concerts et s’attire un public de fans. L’un d’eux se révèle être un ami de Dave Sitek, le savant de TV On The Radio. “Vous devriez collaborer. J’organise un rendez-vous”, leur lâche-t-il à la fin d’un show. Chose promise, chose due. Eaddy et theOGM débarquent un beau jour chez Sitek. “On a chillé en faisant un peu de musique et en discutant. Il est très relax.” Ils y retournent et composent quatre morceaux, parmi les meilleurs de l’album.
“Mais c’est qui ce mec noir avec des dreads ?!”
“Son groupe préféré, c’est Bad Brains, s’exclame Eaddy, un groupe qui a changé ma vie. La première fois que j’ai vu Ninjasonik, ils ont repris Attitude. A l’époque, je ne savais pas ce qu’était une cover. Quand je suis rentré chez moi, j’ai simplement googlé ce morceau pour le réécouter. Et je suis tombé sur Bad Brains au CBGB en 1982 ! Je me suis demandé ‘Mais c’est qui ce mec noir avec des dreads ?!’ Ça m’a soufflé.”
Outre la référence évidente à ces pionniers afro-américains du punk-hardcore, on pense bien évidemment à Run The Jewels et Death Grips, tant pour le mélange des genres, la préservation d’un rap conscient, que pour la colère sourde qui se glisse sous notre peau. Bien évidemment, Ho99o9 n’aime pas les comparaisons. “On nous rapproche parce qu’on bouscule les structures, les normes. Musicalement, ça n’a rien à voir”, assure theOGM.
“Je regarde les vidéos de live de certains artistes, Iggy Pop, Prince, James Brown. J’étudie leurs façons de bouger en rythme”
Pourtant, des influences, il y en a à foison, certaines même revendiquées. “Je regarde les vidéos de live de certains artistes, confie Eaddy. Iggy Pop, Prince, James Brown. J’étudie leurs façons de bouger en rythme. Ensuite, quand je suis sur scène, ça me vient naturellement, je ne cherche pas à les copier mais il faut toujours apprendre des meilleurs.”
Pour theOGM, la scène est plutôt l’endroit où il peut enfin donner vie aux “multiples personnages” qui grandissent en lui. “La robe est une référence à Kill Bill, dont je suis un grand fan. Dans ce film, la mariée a été mise à terre, ressuscite et se venge, ce qui nous résume bien. Nous avons été frappés pendant longtemps. Nous renaissons sur scène.” D’où le fait qu’ils s’y permettent tout. “Ça vous arrive de finir nus ?” s’enquiert-on. Et tous deux de répondre en chœur : “Oh oui !”
album United States of Horror (Caroline/Universal)
concert le 15 juillet au festival Afropunk, Paris (Grande Halle de la Villette)
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