Les nouveaux enfants terribles du rock anglais débarquent vendredi avec “West Of Eden”, un premier album plein de tubes bordéliques et déviants. Rencontre avec Henry Spychalski, maître de cérémonie charismatique, pour discuter Brexit, fin du monde, football et masculinités.
L’histoire entre HMLTD et le capitalisme a toujours été des plus compliquées. Dès le départ, le groupe formé il y a un peu plus de trois ans dans le sud de Londres a été forcé de se trouver un autre nom. A l’époque, les cinq garçons faisaient parler d’eux comme Happy Meal Limited – un alias plein d’ironie mais pas tellement du goût du géant du fast-food McDonald’s. Dans ce combat, la deuxième défaite est venue il y a quelques mois, quand la bande menée par le truculent Henry Spychalski s’est faite virer de sa maison de disques, la major Sony. Une histoire d’incompréhension mutuelle.
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Alors, rien de plus logique pour les Londonniens d’adoption que de rendre coup pour coup au moment de sortir leur premier album, West Of Eden. Dans le clip de The West Is Dead, sorti à l’automne dernier, on voit le chanteur aux prises avec « les quatre capitalistes qui restent après la chute du monde », comme Henry Spychalski nous explique mi-décembre à Paris. Avec son ambiance postapocalyptique, le banger eschatologique introduit au mieux le concept derrière West Of Eden, album sur la chute de l’Occident, la mort de la spiritualité et la crise climatique. Drôles de thématiques pour faire la fête.
Comment vous vous êtes dit que vous alliez faire danser les gens sur la fin du monde ?
Henry Spychalski – Je pense que c’est important de comprendre que même si le monde autour de toi est foutu, il y a toujours des moyens de rendre la vie belle. Même quand la catastrophe écologique point, la situation économique atroce, il y a des moments où l’on peut ressentir du bonheur. La compassion, l’empathie et l’amour sont les seules choses qui peuvent nous sortir de cette situation. Je pense que l’amour est quelque chose de radical. C’est tout le sens de notre album, d’aborder l’amour comme quelque chose de politique. Les gens ont trop tendance à avoir peur de leur version la plus extrême. Ce qui nous intéresse, c’est justement d’explorer la marge la plus radicale de nos personnalités, d’être grotesques, décadents.
Est-ce que c’est pour cela que le disque est assez radical dans sa forme, bien loin des chemins balisés pour un « groupe à guitares » ?
Nous cherchons à montrer que les choses n’ont pas à être compartimentées, que les genres, musicaux comme sexuels, sont fluides. J’ai l’impression que la musique à guitares est devenue très flemmarde. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle de moins en moins de jeunes en écoute. Les groupes ne font souvent que répéter la musique du passé, les mêmes vieux thèmes. Notre but est, au contraire, de mettre à jour la musique à guitare pour le XXIe siècle. C’est pour ça qu’on incorpore des éléments de hip-hop, de musique électronique. D’autant qu’aujourd’hui plus personne ne s’identifie à un seul genre de musique, grâce à Spotify.
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Pour autant, votre premier album reste cohérent, presque comme une sorte d’opéra-rock, avec un début et une fin.
Nous avons voulu faire un album concept, autour du thème des chutes de l’Occident et de la masculinité, qui sont deux idées interchangeables.
Tu évoques la masculinité. C’est presque ironique de te voir habillé en footballeur dans le clip de The West Is Dead.
J’aime le foot, mais de façon paradoxale. D’une certaine manière, le foot est un bon symbole de ce qu’est devenu l’Occident. C’est presque un monde fictionnel, un fantasme, avec ses personnages hauts en couleur comme José Mourinho, et ses sommes qui ne veulent plus rien dire. Mais à côté de ça, c’est un lieu où subsiste la solidarité, le sens de communauté, parmi les fans. Le souci, c’est que ces derniers concepts semblent avoir de moins en moins d’importance face au foot business.
Aucun de vous n’est originaire de Londres. Est-ce que votre critique du capitalisme est liée aussi à votre découverte de cette ville, si symbolique, où les tours de la City donnent l’impression de surplomber tout le reste ?
En effet, le disque a été influencé par le fait de rêver, plus jeune, de venir habiter dans une mégalopole comme Londres, mais aussi la réalisation d’une certaine désillusion, qui arrive fatalement une fois installé dans cette ville, un sentiment d’aliénation face à une agglomération de 8 millions d’habitants… Londres a ce pouvoir de te rendre anonyme, ce qui peut être libérateur mais aussi la cause d’une grande solitude. C’est important de recréer une famille, une communauté. J’espère que nos concerts y participent.
En marge du disque, tu as écrit un manifeste. Est-ce que tu avais peur de ne pas être compris ?
Oui, il fallait faire attention à ce qu’on ne soit pas mal interprété – cela nous a déjà porté trop préjudice dans le passé, quand on nous avait accusés de nous approprier la culture queer ou d’être dans un revival des nouveaux romantiques. D’autant que l’album étant radical, nous souhaitions que son message soit le plus intelligible possible. Je pense qu’avec l’état actuel de la politique mondial, c’est positif de voir que la communauté artistique s’organise pour résister. Reste que je pense que pour que les choses aillent mieux, il faudra encore que la situation dégénère. En ce moment, les choses s’accélèrent et on se rapproche du point de rupture. Je pense qu’une catastrophe devra arriver pour que le monde prenne conscience qu’il faut en finir avec le capitalisme. Pas juste quelques modifications cosmétiques pour s’accommoder du système mais un réel changement.
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Tu ne penses pas qu’au Royaume-Uni cette catastrophe est déjà arrivée, avec le Brexit ?
Non, je ne pense pas que ce sera une catastrophe. Au final ce ne sera même pas grand-chose. Je ne suis pas d’accord avec le Brexit, mais ce n’est qu’un petit changement politique. Je parle d’un bouleversement contre la pensée néolibérale, les problèmes de l’environnement. Savoir si l’on fera partie ou non de l’Union européenne, c’est une distraction plus qu’autre chose.
Ton discours est anticapitaliste et pourtant vous aviez signé chez Sony. Tu ne trouves pas que c’est un peu contradictoire ?
Au contraire, nous avions besoin de leurs ressources pour faire entendre notre message. Je pense toujours que pour avoir un réel impact il faut avoir la plateforme la plus importante possible. Et une major comme Sony nous offrait exactement cela. Ce que nous n’avions pas prévu, c’était qu’ils voudraient limiter, voire changer, notre musique et notre image. Chez Sony, ils n’étaient intéressés que par les grosses pop songs, ils s’en foutaient du concept.
Tu évoquais le fait d’être incompris. Un article de Vice vous avait accusé d’appropriation de la culture queer. Tu penses que ça vous a porté préjudice ?
Pas forcément, mais cet article était vraiment très mauvais. Je pense que nous avons de nombreux objectifs communs avec la communauté LGBT, comme l’émancipation face à la société, la critique de la masculinité toxique et violente. Et puis être accusé de s’approprier la culture queer parce qu’on s’habille de façon extravagante, et qu’on prend des postures flamboyantes… c’est plus dangereux qu’autre choses. C’est une façon de dire que si tu es gay, la seule manière de t’habiller c’est avec un costume rose et, qu’au contraire, si tu es hétéro tu te dois d’aller gueuler des chants racistes dans un stade de foot. Je pense qu’il y a la place pour d’autres versions de la masculinité, être hétéro cisgenre sans être violent, mais éprouver de la compassion. L’hétérosexualité n’implique pas de défendre le patriarcat.
Propos recueillis par Cyril Camu
Retrouvez la chronique de l’album West of Eden, dans le numéro des Inrocks de cette semaine
https://twitter.com/lesinrocks/status/1224969659201417216?s=20
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