Sacralisation du maître, amputation de sa descendance, prééminence du cinéma sur l’art plastique : les observateurs de l’art contemporain reprochent à l’exposition sa conception trop figée et trop « cinécentrée » dans sa vision de l’art de XXème siècle. L’avis de Jade Lindgaard. Et donnez le votre dans notre forum !
Consacrer une exposition aux rapports du réalisateur britannique à l’art partait pourtant d’une généreuse idée. En grande partie pour la liberté prise par les commissaires de l’exposition, Dominique Païni et Guy Cogeval, qui s’offrent une relecture subjective et suggestive de l’histoire de l’art. En rapprochant un photogramme d’Ingrid Bergman extrait des Amants du Capricorne d’une photo symboliste de la fin du XIXe siècle, la Kim Novak noyée de Sueurs froides de la figure d’Ophélie, ils donnent à l’ensemble un parfum iconoclaste bien senti.
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Comment se fait-il alors qu’au fil des salles se dégage un persistant parfum de messe ? Peut-être parce que dès le préambule une citation de Jean-Luc Godard plane au-dessus des visiteurs telle une bénédiction urbi et orbi. Et sur ce, poussant les battants d’une vieille porte de cinéma, on pénètre dans une salle où sont exposés sous verre et sur piedédestal quelques (faux) objets emblématiques du fétichisme de la filmographie hitchcockienne : le sac en cuir jaune de Marnie, les lunettes brisées des Oiseaux? autant de pièces à conviction exhibées telles des trésors plaçant dès le début cette exposition sous le signe du culte. Et du factice.
Malheureusement, cet appel du faux traverse aussi les autres salles. A force d’accrocher côte à côte extraits de films photographiés, prises de vues historiques, story-boards, photos de tournage et tableaux, on finit par ne plus distinguer les uvres d’artistes de la simple documentation. Une confusion entretenue par de ponctuelles tentatives de scénographie (la chambre de Psychose, le perchoir des Oiseaux) que l’on aurait toutes les raisons de prendre pour des installations alors qu’elles ne sont qu’un simple décor.
C’est là que l’on touche au c’ur du projet « Hitchcock et l’Art ». On voit bien comment, en se focalisant sur les sources artistiques d’Hitchcock, excluant d’un même geste d’envisager sa prolixe descendance, les auteurs de l’exposition font de son uvre un aboutissement, une fin de l’histoire. Le problème n’est pas que l’exposition déçoive, mais qu’elle gêne par ce parti pris proclamé et assumé. Et il n’est pas question ici de querelle de chapelle, de défendre un front de l’art contemporain ni de contester l’importance d’Hitchcock dans l’histoire de l’art du XXe.
Le cinéaste trouve naturellement et légitimement sa place au musée. Mais c’est dans ces allées et venues entre films et art que se situe toute la modernité de son uvre. Un auteur déconstruit, détourné, tourmenté par une descendance qui ne cesse d’y faire référence et amorce une autre histoire : des Film Stills de Cindy Sherman aux Remakes de Pierre Huyghe, de Douglas Gordon à Gus Van Sant, qui refit Psychose plan par plan.
Il n’est qu’à voir la salle « people » de l’exposition, avec ses portraits tranquilles, pour comprendre la portée sacralisante du projet accueilli par le centre Pompidou. Ce qu’assume pleinement Dominique Païni qui place de surcroît le cinéma au-dessus des arts plastiques’ « Je pense que s’il n’y avait pas eu le cinéma au XXe siècle, Magritte, Dalí, De Chirico auraient été perçus comme des farces. Le cinéma a donné sa légitimité à la peinture du XXe. » Jugement radical et infiniment contestable, qui ne fait au final que formuler plus violemment ce que laissait supposer l’expo.
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