On avait fini par se perdre en conjectures face à l’équilibre miraculeux de la musique de Microdisney. Comment une musique si benoîte pouvait-elle bien s’emporter par rafales de tonitruants orages, aussitôt suivis de paisibles bonaces ? Les choses sont aujourd’hui claires, alors que sortent simultanément les albums solo des deux anciens faux-frères de Microdisney ? […]
On avait fini par se perdre en conjectures face à l’équilibre miraculeux de la musique de Microdisney. Comment une musique si benoîte pouvait-elle bien s’emporter par rafales de tonitruants orages, aussitôt suivis de paisibles bonaces ? Les choses sont aujourd’hui claires, alors que sortent simultanément les albums solo des deux anciens faux-frères de Microdisney ? Sean O Hagan, guitare placide, et Cathal Coughlan, chair possédée.
De Microdisney, Sean O Hagan a emporté le flegme et la fluidité. Le guitariste tranquille avait toujours rêvé de ce nirvana pacifique où les mélodies coulent en cascades, où les harmonies rient à gorge déployée. Mais son mauvais diable de partenaire, ce pou furieux de Cathal, lui en avait toujours interdit l’accès, détruisant systématiquement les chansons dès qu’elles commençaient à jouer pépère. Guéri de ce mauvais génie, O Hagan se laisse aller aux instincts refoulés et peut tartiner très riche. C’est le grand voyage vers sa terre promise, la West Coast de Brian Wilson, le rockin’ chair peinard de JJ Cale. Hoping you would change your mind, Pretty boy, le sucre se dispute au miel dans ce sirop sans danger mais jamais inodore ou écœurant. Les chansons de Microdisney puisaient leur force dans la tension entre quiétude et démence. Ne manque ici que cette dernière, qui faisait décoller les chansons.
La folie, Cathal Coughlan l’a gardée pour lui tout seul, roue motrice de ses Fatima Mansions. Lui qui s’était cassé les dents et la santé à essayer, furieux et impuissant, d’emballer la musique de Microdisney, peut maintenant jouer sans garde-fou. On imagine mal aujourd’hui comment deux personnalités apparemment aussi éloignées ont pu tenir si longtemps sur la même galère. O Hagan tombe dans l’eau calme, ne reste que la tempête Coughlan. Je ne vois guère que le John Cale possédé de Guts auquel comparer cet aliéné : même jouissance à torturer la mélodie, à habiter jusqu’à la transe des chants dangereux ( I’m gonna kill a cop, let’s all kill some cops’), même incapacité à dialoguer avec la demi-mesure, même plaisir à sauter d’un extrême à l’autre, du génie à l’insupportable. Trop plein, trop intense, cet album de chaos, de colère et de frustrations épuise, terrifie autant qu’il fascine. Parfois, Coughlan revient parmi nous, comme un psychotique après sa crise : ne se souvenant de rien, il se balade alors, apaisé et certain de sa normalité (Legoland 3). Mais les démons l’assaillent vite, maltraitant dans la furie les fausses accalmies (Broken radio n° 1 ou l’extraordinaire Angels delight). C’est quand il tente ces équilibres instables qu’il est le plus impressionnant, lorsque sa belle voix grave tonne au-dessus des éléments. Cris du cœur, parmi les plus viscéraux et les plus vénimeux de l’époque. Viva hate.
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Archives du n°26 ( nov/ déc 90)
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