Quel rapport Helmut Newton entretient-il avec son corps Est-ce celui qu’on devine dans ses photographies de mode, où il a ouvertement développé un art de la manipulation et des fantasmes sexuels sophistiqués ? Ou dans une partie plus intime de son oeuvre que l’on peut voir cet été à Paris ? Cinquante-deux ans de vie commune avec Alice Springs : le regard croisé de deux photographes sur eux-mêmes et les autres.
Quand j’étais jeune, comme tout le monde, je ne m’occupais pas du tout de mon corps. Mais à mon âge je vais avoir 79 ans en octobre , après tous les problèmes que j’ai eus et qui m’ont conduit à plusieurs séjours à l’hôpital, j’aime être en bonne santé. Je veille sur mon corps. Je suis suivi par de très bons docteurs, qui sont souvent devenus des amis et que j’ai photographiés. Je nage tous les jours, car j’étais champion de natation quand j’étais jeune, sans avoir beaucoup de muscles. J’ai aussi pas mal de médicaments à prendre chaque jour. Bref, j’ai dû, comme tout un chacun, accepter de vivre avec l’âge de mon corps. La photographie m’y aide beaucoup. Par exemple, lorsque ma femme a eu sa très grave opération en 1982, j’ai été très affecté, et pour affronter ça, mon appareil est devenu un véritable gilet pare-balles. Pareil quand j’ai subi mes propres opérations. Je pense que les photographes de guerre ressentent la même chose : s’ils n’avaient pas un appareil entre leurs mains, s’ils n’avaient pas un travail à faire, ils ne seraient pas capables de regarder en face ce qu’ils montrent à travers leur objectif.
L’appareil photo en gilet pare-balles, dites-vous, n’était-ce pas aussi une thérapie
J’avais commencé cette espèce de travail thérapeutique sur moi-même en 1971, lorsque j’ai eu ma première attaque cardiaque. C’est important, ce rapport au corps, à sa déchéance, à la maladie, voire au cadavre. Quand je suis dans une ville, je me renseigne toujours sur le musée de la Police : ces endroits me fascinent et j’y fais des photos, comme à Vienne ou Miami. J’ai toujours aimé les faits divers, je m’en suis souvent inspiré.
Votre regard sur le corps a-t-il été modifié par votre métier ?
Heureusement, car il n’y a rien de pire que ceux qui vieillissent avec un désir d’éternelle jeunesse. Les gens que je photographie ont vieilli, mon regard s’en est trouvé modifié. Par exemple, les nus, j’ai commencé très tard, en 1980. J’ai toujours eu un peu peur de les aborder, c’est difficile à faire. Une femme habillée est plus facile à photographier. C’est pourquoi j’ai commencé avec cette série, Les Grands nus, où l’on voyait des photos de femmes habillées juxtaposées aux images des mêmes femmes nues. Aujourd’hui, je fais plus rarement des nus et beaucoup plus de portraits.
Vos modèles pour les nus sont toujours des mannequins aux corps superbes : les seuls que vous puissiez photographier ?
Le seul vieillard que j’ai photographié, c’est moi ! Et puis ma femme, qui a vieilli au fil du temps. Lorsque l’exposition a été sur les cimaises la première fois, j’ai eu du mal à accepter de me montrer ainsi, mais il était trop tard pour revenir en arrière. La photographie est très utile comme aide-mémoire : cela fait cinquante-deux ans que je suis avec Alice, on a beaucoup de photos qui retracent notre vie. Pareil pour les photos de mode. Je prenais les photos en situation, pour voir comment cette femme-là, ce mannequin-là, vivait, dans quel environnement, dans quel monde… Pour en revenir à votre question, je travaillais avec des mannequins comme modèles pour les nus car ils ont un corps qui m’intéresse, mais c’était aussi un moyen de faire leur portrait. J’ai fait des séries de photos de corsets. Dans les années 80, j’ai aussi amené une fille chez un radiologue pour une photo.
Le corps, dernière prison ou nouvelle liberté ?
Nouvelle liberté, bien sûr… Lorsqu’on meurt.
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