Pour les médias « grand public », le Hellfest est un peu devenu au metal ce que le festival d’Angoulême est à la BD : on en parle seulement le temps d’un week-end. Pourquoi le métal est encore confiné à un ghetto ?
Le Hellfest qui affichait complet dès décembre 2014 est devenu le 3e festival français en termes de fréquentation. Cependant, depuis le décès en 2011 du député PS et fan du genre Patrick Roy, nul politique ne s’est battu pour le rôle de porte-étendard du « metôwl ». Et si le Hellfest fait parler de lui pour sonfolklore, ce n’est pas encore the place to be pour les pipole et les politiques. Bref, on n’est pas à Rock en Seine, où Jean-Paul Huchon ne manque jamais de labourer le terrain. Quant à Fleur Pellerin qui avoue ne déjà pas trouver le temps de lire, elle n’a pas prévu de s’initier aux subtilités du black-metal ce week-end. Pas plus qu’elle n’a profité de la récente doublette d’AC/DC au Stade de France pour nommer Angus Young chevalier des Arts et Lettres, breloque à laquelle un Lou Reed a eu droit dès 1992… Sans parler du silence politique fracassant après les actes de vandalisme commis par de supposés « groupuscules catholique vendéens » sur le site du Hellfest le 2 mai (enquête en cours…). Les raisons d’un tel mépris du metal, -ou d’une méconnaissance, si on veut rester diplomate- restent ces préjugés qui lui collent au perfecto. Entre look déroutant, accusations de satanisme à la petite semaine, et réactions de primates en rut face à une caméra. Bref rien qui ne puisse améliorer le statut du Cousin Pons des musiques actuelles. Le metal reste ghetto, malgré un grignotage sur le mainstream de plus en plus prononcé, et certains metalheads le déplorent.
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Pourtant, Christian Lamet, journaliste et créateur du mensuel Hard Force en 1985 (devenu pure-player), ne mâche pas ses mots quand il appelle le fan de metal à balayer devant sa porte :
« On ne peut pas se plaindre de passer pour un débile quand on montre son cul au Petit Journal, qu’on vient beugler dans le micro au lieu de s’exprimer, ou que l’on se veut respectable mais qu’on ne tient plus debout tant on est déchiré. Il ne faut pas s’étonner de choquer les gens dans la médiane d’une petite vie tranquille. Et je le dis sans animosité, car ce côté outrancier propre aux troufions en perm jadis, ou aux rappeurs et aux footeux aujourd’hui, m’a aussi plu à 15 ans quand je suis tombé dans le metal. »
Plafond de verre
Mais, plus que le metalhead qui boirait le rince doigts au restaurant, ce qui attriste Christian Lamet, devenu depuis 2012 réalisateur de Metal XS et Une dose 2 metal, les deux émissions phares de L’Enorme TV, c’est l’ignorance médiatique du metal, hors le Hellfest. Trente ans après Platine 45 ou Les Enfants du Rock qui mettaient souvent le hard-rock à l’honneur, nul patron de chaîne publique ou privée n’envisage une case dédiée au genre. Certes musicalement, le ton s’est durci depuis Kiss et Iron Maiden, pourtant, que peut-on sérieusement reprocher aux metalheads, souvent bien intégrés socialement, hormis peut-être de trop souvent violer la fashion-police? En juillet 2013, une pétition type départ pour la Croisade, recueillit plus de 40 000 signatures sur Facebook, afin d’exiger des excuses de M6 après un reportage « sacrilège » de Zone Interdite. Christian Lamet qui expliqua en ligne pourquoi il ne la signerait pas, « même si M6 s’était engouffrée dans une autoroute de clichés. » s’étonne encore d’avoir entendu parler « d’honneur bafoué, de cruauté et de propos diffamatoires, venant de gens vénérant une musique qui s’est construite sur la transgression permanente ».
Le vrai problème serait plutôt ce plafond de verre semblant priver tout fan de hard-rock devenu adulte, de pouvoir décisionnaire politique ou médiatique ? Il ne reste qu’un mensuel, Rock Hard, dédié au genre, contre trois durant plus de 20 ans. Et s’il y’a des ados au concert, c’est plus souvent parce que papa aimait ça que le fruit du hasard. Pour Christian Lamet, la télé « éduque le public avec de la musique qui n’incite pas à la réflexion et sans renouvellement. Du coup le goût du metal se transmet plus par la famille ou les amis. Car, vu sa sous-exposition médiatique, il y’ a peu de chances de se réveiller un matin à 14 ans en étant devenu fan de Slayer ». Battant un peu sa coulpe de n’avoir pas tenté d’imposer le genre en radio et télé durant l’âge d’or de la presse spécialisée, entre 1992 et 1995, porté par les locomotives Guns, Nirvana et Metallica, Lamet ne croit ni aux pétitions, ni au lobbying. Simplement parce qu’il faut affronter
« l’immobilisme des gens de pouvoir qui s’en foutent. Combien de fois ai-je proposé des concepts d’émissions metal aux responsables des chaînes. Ils t’écoutent poliment, avant de te dire que c’est trop segmentant ».
Segmentant
Les choses bougent toutefois, même si vu du dedans, on peut avoir l’impression que c’est à dose homéopathique. Mais France 4 proposera le 21 juin une soirée consacrée au metal. Et si Renaud Allilaire, adjoint à la direction des programmes, en charge des docus reconnait que : « oui, le metal est segmentant « , il n’y voit aucun problème, « puisque France 4 vise les 18/30 ans, et accorde une large place aux musiques plutôt pointues ». Se défendant de tout ostracisme envers les fans du genre, il récuse l’idée d’un Hellfest permettant d’évoquer le metal une fois l’an pour mieux s’en laver les mains le reste du temps. Ajoutant :
« sans opportunisme aucun que si nous pouvions consacrer plus d’espace au genre, nous le ferions. D’autant qu’en 2011, le docu de Thomas VDB, Le Hellfest expliqué à ma mère avait bien marché. Après, installer un rendez-vous régulier coûterait beaucoup d’argent et nous avons déjà Monte le son, en quotidienne, plus axée sur la promotion de la nouvelle scène française. »
Allilaire serait déjà heureux de proposer plus de documentaires sur le metal, « d’autant que c’est une musique d’engagement qui se confronte souvent aux préjugés de la société et qui vient questionner la norme », mais il est bloqué « par une production limitée à 15 ou 20 docus par an ». De plus il sait qu’il faudra composer avec les vœux de Delphine Ernotte, qui prendra la présidence de France-Télévisions le 22 août…
Reste le front littéraire où Hachette Pratique va sortir un beau livre pour les 10 ans du Hellfest, signé de Lelo Jimmy Batista, rédacteur en chef du site Noisey**. Antoine Béon, Directeur Artistique qui a accompagné le projet souligne que « les musiques métal, et plus généralement qualifiées d’extrêmes sont progressivement passées du milieu « underground » à celui de « mainstream » ». Pour lui, leur destin est désormais,
« d’appartenir à la pop culture, à la manière du phénomène geek , et toucher un public de plus en plus large. Ces musiques ont leurs codes graphiques, leurs fondements historiques, leurs papes et leurs prêtresses… Et rassemblent une tribu socio-culturelle, au sens où Michel Maffesoli entend le terme. »
Mazette, rien que ça. Et ce qui suit ne va pas calmer l’enclin des metalleux à s’auto-glorifier plus intelligents que la moyenne à grands coups de sondages Facebook. En effet chez Hachette, « on considère ce public comme de nouveaux lecteurs exigeants, érudits dans leur domaine, et « entiers » dans leur manière d’aborder leur corpus musical. » Dès lors, marier Hachette et le Hellfest « permet de créer un livre avec une assise éditoriale forte, et un crédit et une caution incontestable aux yeux du public visé. » A un tel niveau de dithyrambe, qu’ajouter, si ce n’est qu’on attend à présent, l’entrée de Cannibal Corpse à la Pléiade.
Après ça, si on voit encore un metalhead oser montrer son cul aux caméras…
*Un monde de Metal et A l’est de l’Enfer, le dim 21 juin à 23 h 30, France 4
**sortie en octobre
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