Quatorze femmes s’emparent des rôles du Penthésilée de Heinrich von Kleist, mis en scène par la comédienne Julie Brochen : Eros et Thanatos font enfin bon ménage.
Bien sûr, Heinrich von Kleist est connu pour ses pièces de guerre, ses batailles rangées qui disent assez l’éclatement du pouvoir, la vanité des frontières. Et même s’il est notoire que ses rapports avec le pouvoir politique et militaire de son époque oscillaient entre attraction et répulsion, ne nous y trompons pas : Kleist, militaire et auteur de théâtre, était bien au fait des passions qui agitent les hommes et de l’influence gigantesque des femmes. Pièce maîtresse sur l’échiquier de son théâtre, Penthésilée corrompt définitivement le lieu commun selon lequel les femmes seraient absentes des guerres, en dernière ligne, infirmières dévouées, mères, femmes, soeurs éplorées, grignotées par l’attente, privées de stratégies. Guerre des sexes, déchirure de la figure du héros, dévastation des passions, Penthésilée met en scène l’armée des Amazones contre celle de Penthésilée. Rarement Eros et Thanatos auront fait si bon ménage, entremêlant leurs vues au point de s’aveugler.
On ne s’étonnera donc pas de voir une jeune femme, actrice et chef de troupe, s’emparer de cette pièce. Julie Brochen signe ici sa deuxième mise en scène. On la verra bientôt jouer sous la direction de Stuart Seide, qui fut son professeur au Conservatoire national d’art dramatique. C’est un nom qui commence à circuler beaucoup. Pourtant, Julie Brochen n’a de cesse de mettre en avant son métier d’actrice et, pour la mise en scène, se dit surtout dépositaire d’une passion transmise par son grand-père. A son insu, en quelque sorte, puisque c’est au moment de monter La Cagnotte de Labiche, sa première pièce, qu’elle a découvert que son grand-père, qu’elle n’a jamais connu, avait créé une troupe de théâtre alors qu’il était en captivité dans un Offlag de Haute-Silésie. Cette troupe s’appelait Les Compagnons de Jeu et les hommes jouaient des rôles de femmes.
Aujourd’hui, la compagnie de Julie Brochen s’appelle aussi Les Compagnons de Jeu et ce sont quatorze femmes qui jouent des rôles d’hommes et de femmes, parfois même de demi-dieux. Julie Brochen a pris soin d’indiquer qu’elle avait pris beaucoup de libertés avec le texte de Kleist, au point de jouer la mise en abyme sous forme de fable : « Dans le spectacle, les Amazones sont censées revenir de la bataille et, entre elles, jouer Penthésilée. Les comédiennes qui jouent des hommes ne se travestissent donc pas.« Le public participe au jeu : les deux plateaux du théâtre de la Bastille sont occupés et, par deux fois, les spectateurs quittent leur place et changent de salle. Proximité lorsque la parole a la primeur, que le récit devance l’emportement des corps. Eloignement pour l’affrontement entre les deux armées. Derrière une toile transparente, on assiste alors à une jolie scène de bain, qui ne manque ni d’humour ni de charme. Las, tout tombe à l’eau quand la bataille s’engage, chorégraphiée par Caroline Marcadé dans un curieux mélange d’expression corporelle et de gymnastique vaguement aérobic. Bon, c’est un mauvais moment à passer mais on l’oubliera vite car le talent des comédiennes de l’équipe est, lui, à clamer haut et fort. Allez, on les cite : Muriel Amat, Sandrine Attard, Hélène Babu, Jeanne Balibar, Valérie Bonneton, Dominique Charpentier, Julie Denisse, Marie Desgranges, Cécile Garcia-Fogel, Madeleine Marion, Prunelle Rivière, Elise Roche, Juliette Rudent-Gili et Marie Vialle. Amazones du théâtre !
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