Le rock puissant et physique d’Adam Kesher, né à Bordeaux, a appris à marcher dans la noirceur de la new-wave anglaise et dans la frénésie du punk-funk new-yorkais. Avant d’en partir en courant.
Un chanteur flanqué d’une mèche improbable et qui convulse comme Ian Curtis avec le timbre de Robert Smith, deux guitares furibardes, une basse prognathe, des synthés corrosifs, une batterie bodybuildée… La première fois qu’on a vu Adam Kesher sur scène, on s’est dit que The Rapture et !!! avaient fait des bébés ensemble en écoutant Weezer. Or, si ce sextuor tout fou tout flamme sonne, bouge et se distord avec la fougue, le flegme et la morgue de n’importe quel bon groupe anglo-saxon qui se respecte, c’est à Bordeaux que son rock à ressorts a vu le jour. A l’époque, Adam Kesher venait de sortir Modern Time, un maxi meurtrier sur le très éclectique label parisien Disque Primeur (Chromeo, Dabaaz, Fancy). On les avait recroisés l’automne passé à Montréal, armés d’une nouvelle rafale de tubes imparables au carrefour frénétique du post-punk et de la new-rave : P. Katerine, Feel You in My Arm, Irene… Trois bombes à danser consignées dans leur ep An Allegory of Chastity, sorti en juin 2007. Depuis, la bande a peaufiné les trames de son premier album Heading for the Hills, Feeling Warm Inside, quitté Bordeaux pour Paris et joué à l’illustre festival texan South by Southwest. Compulsif, Adam Kesher… Rigolo, aussi : ses membres cultivent un humour allant du troisième degré au pur n’importe quoi. On garde à cet égard le souvenir ému d’un échange lunaire avec le guitariste, Jérôme, sur “les pouvoirs maléfiques des écureuils québécois à six heures du matin”. Agés de 22 et 23 ans, Julien et Gaétan, les deux frères fondateurs, étudient la philosophie. Les autres ont la petite trentaine, se sont essayés au metal, au hardcore et au post-rock, ont fait les beaux-arts, tâté de la photo ou joué les assistants réalisateurs. Son curieux patronyme, Adam Kesher l’a chipé à David Lynch : c’est le nom du cinéaste à lunettes carrées qui lutte contre le rouleau-compresseur hollywoodien dans Mulholland Drive. “Tout le monde pense qu’Adam Kesher c’est moi, alors que je ne suis pas du tout juif new-yorkais, ironise le chanteur Julien. Ce type essaie de faire un film comme il l’entend, mais on lui impose une actrice. On s’est dit que ça arrivait à pas mal de groupes pop et rock d’être ainsi tiraillés entre leur liberté d’expression et la pression des maisons de disques.”
Animés donc d’un désir d’indépendance farouche, les six garçons ont mal digéré le fait d’être traités de “clones français des Klaxons”. Du coup, ils ont remis les compteurs à zéro sur Heading for the Hills, Feeling Warm Inside : disque mutant et magmatique, qui compulse un large spectre d’influences. Selon Gaétan, “il s’inspire de la dramaturgie des disques de rap, où des chansons sirupeuses cohabitent avec des morceaux plus club et gangsta”. Le titre inaugural, Local Girl, prend en effet un plaisir pervers à brasser sonorités r’n’b bien cheesy et divagations psychédéliques. Mais, aux antipodes des sempiternelles rodomontades machos, ses paroles rendent hommage à Motel Blues – morceau sublime du chanteur folk Loudon Wainwright III (le papa de Rufus) sur le déracinement d’un musicien routier en mal de tendresse.
Plus loin, le phrasé haché, la noirceur lumineuse et les guitares orageuses de Talent and Distance semblent exhumer la splendeur passée des Pixies. Il y a encore du Jesus And Mary Chain au cœur vicié de la surf-pop crasseuse de While My Mind Was Dry. Pas question pour autant de renier l’essence electro-rock des débuts. Adam Kesher n’oublie jamais d’exalter l’esprit dance-floor qui l’a révélé (Ladies, Loathing and Laughter, South…).
Les mots de la fin reviendront à Syllable, une ballade spectrale tirée d’un passage bouleversant du Tout sur le tout de l’écrivain Henri Calet sur la crémation de son ex-maîtresse juive dans un camp de concentration. Sauvage, éloquent et hybride, Heading for the Hills, Feeling Warm Inside déroute habilement Adam Kesher de ses sillons originels. Pour lui faire prendre la poudre d’escampette, quelque part entre le désespoir et la fête.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}