À seulement 16 ans, elle a plus de 100.000 chansons à son actif et remplit les stades. Icône J-pop, la chanteuse virtuelle Hatsune Miku est un des phénomènes internet les plus délirants du Japon : sa carrière est aujourd’hui entièrement aux mains de sa vaste communauté de fans, qui produit ses contenus et contribue à la rendre plus célèbre encore. Elle était une des invitées les plus attendues de la 29ème édition de la Transmediale, à Berlin.
Elle a les grands yeux absents des héroïnes de manga, des jambes aiguisées, des couettes turquoises interminables et un costume inspiré de ceux que portent les écolières japonaises. Sa voix ? Enfantine, nasillarde, robotique. Sur la scène de l’auditorium du Haus der Kulturen der Welt, l’extravagant bâtiment en forme d' »huître enceinte », comme le surnomment les Berlinois, qui accueille chaque année le festival dédié aux arts et cultures numériques Transmediale et son pendant musical CTM, Hatsune Miku apparaît au public sous la forme d’un hologramme.
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Convoquée par l’artiste sonore japonaise et berlinoise Mari Matsutoya, la chanteuse interprète quelques uns de ses hymnes kitsch aux chorégraphies millimétrées. Intitulée Still Be Here, la performance confronte l’étrangeté de ce show désincarné aux témoignages des concepteurs d’Hatsune Miku et de ses fans, interrogeant le culte qui s’est bâti autour de cette personnalité virtuelle. « Son existence dépend totalement de sa communauté de fans », explique Mari Matsutoya. « Toute personne ayant un ordinateur peut écrire des chansons pour elle, ce qui explique qu’elle en ait enregistré autant. »
Logiciel de synthèse vocale
En japonais, « Hatsune Miku » signifie « le premier son du futur ». Celle qui est devenue une popstar virtuelle n’était au départ que l’incarnation numérique d’une voix de synthèse élaborée à partir de la voix d’une actrice japonaise de doublage.
« C’est ce processus de désincarnation d’une voix humaine et de réincarnation sous la forme d’une popstar virtuelle qui m’intéressait, et au-delà la conception de la voix féminine au Japon. Elle doit être aiguë, haut perchée et inoffensive, comme les voix que l’on entend dans les centres d’appel ou les publicités », explique l’artiste.
Commercialisée à partir de 2007 par la société japonaise Crypton Future Media, qui conçoit des banques de voix synthétiques, Hatsune Miku n’était alors qu’un des multiples avatars proposés aux utilisateurs de Vocaloid, un logiciel de synthèse vocale mis au point par Yamaha qui permet de créer des chansons en ayant recours à ces interprètes virtuels.
Plus de 2,5 millions de fan sur Facebook
L’adolescente éternellement âgée de 16 ans, qui est censée mesurer 1,58 m et peser 42 kg, et dont la biographie tient uniquement en ces trois chiffres, a connu un succès éclair auprès des utilisateurs de Vocaloid. La sortie quelques mois plus tard d’un logiciel d’animation permettant de créer des clips vidéo accompagnant les enregistrements a cristallisé cette passion naissante pour la diva virtuelle, qui a un répertoire de plus de 100.000 titres, principalement de la J-pop, le nom donné à la pop japonaise. Répondant à cet engouement sur le web, la société Crypton Future Media a mis les dessins originaux d’Hatsune Miku sous « creative commons license » à partir de 2012, « afin de soutenir les activités créatives en open source dans le monde entier », comme elle l’explique sur son site internet, contribuant ainsi à rendre le phénomène planétaire.
Aujourd’hui, Hatsune Miku a plus de 2,5 millions de fans sur Facebook, une chaîne officielle sur YouTube, vend des compilations de ses titres les plus célèbres et provoque l’hystérie lorsque son hologramme donne des concerts en 3D à travers le monde. En 2013, elle était la vedette habillée en Vuitton d’un opéra présenté au Théâtre du Châtelet, à Paris, et l’année suivante elle a même assuré la première partie de la tournée nord-américaine de l’icône pop bien réelle Lady Gaga. Elle est également devenue un personnage de jeux vidéo adulé par les amateurs de cosplay et elle prête désormais ses traits et sa voix haut perchée au monde de la pub en parallèle de sa carrière musicale, devenant la caution geek de marques telles que Google ou Toyota. Ses traits enfantins et sa panoplie mini-jupe et bas noirs font également d’elle une source intarissable de fantasmes pédo-porno matérialisés par une imagerie glauque.
À l’heure où le phénomène internet participatif et rigolo est en train de se muer en pur phénomène marketing, déconstruire le mythe Hatsune Miku paraît plus que nécessaire. Pour Mari Matsutoya, cette « star parfaite » n’est qu’un « réceptacle vide dans lequel nous projetons nos propres fantasmes« . Ses fans de la première heure finiront-ils par s’en lasser, comme ceux qui reprochent à leurs idoles en chair et en os de faire désormais de la musique trop commerciale ?
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