Harry’s Bar

C’était écrit, avec leur reprise de Something Stupid, Robbie Williams et Nicole Kidman atteindraient le sommet des charts anglais à l’heure de la bûche. Et pourtant, ils se sont fait niquer en beauté par un barbu de 56 ans inconnu au bataillon, ou presque.
Les deux millions d’acquéreurs du single How Wonderful You Are n’avaient sans doute jamais entendu parler de Gordon Haskell jusqu’à cette fin d’année 2001. Hormis ce fait, le conte de Noël ressemble à l’aventure d’Henri Salvador : un miracle, après plusieurs décennies de galère. Avec comme heureux dénouement, une langoureuse ballade à la Cole Porter (que d’autres Robbie Williams reprendront dans trente ans), qui remporte tous les suffrages.
Un temps ami de Robert Fripp, Haskell fut bassiste des Fleur De Lys, groupe garage surtout connu pour leur reprise du Circles des Who. En 1969, il publie un délicat premier album solo, Sail in My Boat, qu’on range aux côtés des meilleurs Donovan. En 1970 Il chante sur Lizard de King Crimson. L’excellent It Is and It Isn’t, (1973), ne satisfera toujours pas Haskell. Entre deux coups de main à Van Morrison ou Tim Hardin, il continuera à jouer dans des bars, et sortira à compte d’auteur trois albums dans les années 90.
Un jour, il compose How Wonderful You Are, et c’est l’avalanche. Dans la foulée, il publie aujourd’hui Harry s Bar, un album composé pour moitié de ballades nostalgiques et déchirantes (on aurait aimé entendre un morceau du calibre de Freeway to Her Dreams sur le dernier Costello), pour moitié de funk moite à la Dr John. Les arrangements sont parfois paresseux, l’atmosphère jazzy de villégiature a tendance à ramollir les tympans. Peu importe : comme pour le retour de Terry Callier il y a peu, certaines minutes de grâce intacte parviennent largement à dissiper les marques du temps. Si vous n’achetez pas ce disque, offrez-le à vos parents.

            {"type":"Pave-Haut2-Desktop"}