Hans-Ulrich Obrist et Guy Tortosa Unbuilt roads, 107 unrealized projects.
Dans la bibliothèque Brautigan qui, à Burlington dans le Vermont, rassemble des manuscrits refusés par les éditeurs, l’ouvrage inventé par Hans-Ulrich Obrist et Guy Tortosa pourrait à lui seul inaugurer le rayon « Art & Architecture » : il rassemble en effet plus de 107 projets conçus mais jamais réalisés par des artistes contemporains, de Gilbert & George à Franz West en passant par Boltanski, Louise Bourgeois ou Jonas Mekas. Une voie routière traversant le Musée de Vienne (Rosemarie Trockel), d’immenses tulipes en acier, hautes de 30 mètres et surplombant une autoroute amsterdamoise (Isa Genzken) ou encore la simple idée de remplacer en ville tous les arbres « décoratifs » par des arbres fruitiers (Fabrice Hybert)… On ne se demandera pas s’il faut regretter leur non réalisation : des plus fous aux plus simples, mégalomanes ou invisibles, ces projets inachevés ont maintenant une existence frêle, hésitante, mais indubitable. Leur mode de présentation y est d’ailleurs pour quelque chose : Obrist et Tortosa se sont en effet contentés de reproduire tels quels les fax, notes et pages manuscrites que leur ont adressés les artistes interrogés. Une manière de garder chaque chose à son état d’ébauche. Ainsi l’idée, comme aux meilleurs moments de l’art conceptuel, suffirait à la réalisation de l’oeuvre.
A l’heure où Catherine Maigret rebaptise Vitrolles-en-Provence et donne à sa ville un air de campagne pétainiste fleurant bon la France pure, on gagnerait peut-être à lorgner du côté de ces 107 « Unbuilt roads », routes non construites, projets avortés et laissés sur les voies de garage d’un urbanisme souvent sans fantaisie ni imagination. En effet, tous ces projets investissent l’espace public, depuis Jef Geys qui propose de détruire un musée, jusqu’à Douglas Gordon voulant diffuser dans un espace public, et au ralenti, The Searchers de John Wayne (le film passant alors d’une durée de 113 minutes à cinq longues années !) : chacune de ces idées s’avère nécessairement politique. D’où le refus régulier d’autorités effrayées par la folie au mieux douce, au pire furieuse, qui habite ces concepts inaboutis. Irréalistes, irréalisables, ils nous sont ici proposés comme une sorte d’inventaire d’oeuvres à réaliser nous-mêmes. Une sorte de Pif gadget de l’art contemporain : et comme le dit Thomas Hirschhorn, « Tout est prêt, pourquoi attendre ? »