Le dandy-loubard de San Francisco Hanni El Khatib revient de loin avec un troisième album diabolique et hautement addictif sous de modestes prétentions.
On avait quitté Hanni El Khatib sur un couac, une fausse note. Vampirisé par la production du Black Keys Dan Auerbach, dont on aura tendance à penser qu’il a largement tiré la couverture à lui, son second album Head in the Dirt ne laissait que peu de place à son auteur. Le trait épais et la poigne leste, la chose se résumait trop souvent à un exercice de style qui flirtait avec la parodie.
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Retour à la solitude
Pour ce Moonlight, Hanni El Khatib aura eu le bon goût, le pif et la confiance nécessaire pour évoluer à peu près seul en studio, comme il le fit à l’époque de son premier album, monolithique et rugueux.
“J’ai gagné en bouteille, explique-t-il, même si j’ai volontairement repris les techniques d’enregistrement du premier album – moi, un ingé son, des idées qu’on trifouille et qu’on malaxe – pour un résultat drastiquement différent. L’expérience avec Dan Auerbach était un passage obligé – ç’aurait été cracher dans la soupe que de refuser la leçon d’un tel pro. Mais cette fois-ci, je me sentais de tout faire seul. Seul mon batteur Ron m’a aidé, ainsi que quelques amis de passage ici et là.”
La patte de LA
En plan large, Moonlight a le physique retors, la gueule en lame de couteau et des allures de film de genre des années 40. Quand on s’y penche de près, c’est un recueil tendu, le muscle sous la peau, la (dé)charge érotique en sous-texte ; l’insalubrité des Cramps, la nonchalance délétère et désabusée d’un Alan Vega n’échapperont à personne non plus dès l’ouverture éponyme, aussi habilement sexy que crispée. Post-hitchcockien, chaloupant en lacets, il évoque Mulholland Drive comme la famille Addams dans un registre cartoon, la jungle urbaine ou Le Dahlia Noir. Et pour cause : “Los Angeles m’inspire, en creux. Je déteste y sortir, j’y suis allergique à beaucoup de choses. Du coup, à la place, je bosse.”
Des exhalaisons garage au rock lourd, Hanni avait pris l’habitude de faire du neuf avec du vieux, quitte à friser l’ostentatoire. Ici, entre les réminiscences d’Iggy Pop (Melt Me) ou d’un Led Zep low key (Mexico), l’“Elvis garage” joue davantage la réappropriation des genres, souple des genoux comme du pelvis… Même si, au milieu, The Teeth joue les broyeuses stoner – un sillon qu’on ne l’avait pas, ou peu, vu creuser jusqu’ici. Une ballade éléphantesque contrebalancée par un chant d’oiseau, le panachage des vocalises (feulements, phrasé de petite frappe, falsetto) faisant aussi partie de la longue liste des nuances et prises de risque de cet album.
Prise de risque
Hanni, python au poing dans l’évocation très sexuelle de la pochette de Moonlight, y cultive la notion de danger.
“Quand j’ai recommencé à écrire, après la dernière tournée, j’étais rincé, physiquement comme mentalement. La pochette de Moonlight colle avec mon état d’esprit d’alors, entre frustration et sentiment d’agression. Esthétiquement, elle dépote, mais elle symbolise surtout une lutte de pouvoir. Le danger y est maintenu à distance mais pas complètement écarté : à une époque et disparaissent sans crier gare. Je préfère rester en retrait. Ça ne me dérange pas, tant que je peux continuer comme je l’entends. En tant que producteur, je tâte autant du rap, avec Freddie Gibbs par exemple, que du rock psyché de Wall Of Death (groupe français dont il produit actuellement l’album – ndlr). Si je gagne en succès, tant mieux, mais ça n’est pas ma motivation principale. Je n’ai jamais fait ce métier pour me taper des meufs, j’ai commencé bien trop vieux.”
Un soupçon de disco
Nuancé et complexe là où ses prédécesseurs collaient au terrain lourd, Moonlight offre, dès les chaloupements d’un Chasin’, une ligne de conduite millimétriquement tenue, en partie par une basse percussive et pointilleuse. Sentiment redoublé avec Worship Song, bien avant Two Brothers, en queue de peloton, ritournelle entêtante, à la limite du toxique, et… discoïde:
“Et pourquoi pas ? Si je tâte du disco, je veux y aller à fond, avec la section de cordes, les synthés dans leur jus, le temps réglementaire de sept minutes. Je n’avais pas envie de faire les choses à moitié. Ce morceau clôt naturellement Moonlight en même temps qu’il ouvre le champ des possibles pour la suite, sur une totale liberté.”
Affranchissement, valses à trois temps, boulevard de la mort, cuir griffé et nuances mélancoliques : Hanni, la nuit vous va si bien.
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