Neuf mois après l’ep 140 BPM, le rappeur de Bruxelles transforme l’essai drill avec un second volet au format album : le bien nommé, “140 BPM 2” qui compte Gazo, Zed (13 Block), Guy2Bezbar, Headie One ou Kaaris au casting.
Depuis que Dior du regretté Pop Smoke s’est emparé du monde en 2019, le mot est sur toutes les lèvres : drill partout, drill tout le temps, drill répété comme un mantra insidieux et vicié façon Spring Breakers d’Harmony Korine. Mutant par essence, les deux versants de ce genre – né sous l’impulsion de Fredo Santana et Chief Keef dans les quartiers de Chicago, puis transfiguré par une génération de rappeurs anglais qui lui ont insufflé leurs influences issues de l’électro UK – ont été réconciliés par le rappeur de Brooklyn assassiné le 19 février 2020. Dans une grande entreprise syncrétique qui unifiait la violence crue de 50 Cent et les instrumentales typiquement anglaises du producteur 808Melo, Pop Smoke avait, en substance, donné sa forme finale au genre. Celle pour dominer les charts, celle qui a contaminé jusqu’au rap francophone pourtant assez frileux quant aux sonorités (2-step, UK garage) du rap anglais.
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Dans le sillage du phénomène Gazo, des ressortissants de la secte du 667 en passant par le collectif Lyonzon, ce n’était qu’une question de temps avant qu’Hamza – qui s’est illustré aussi bien dans le rap, le dancehall (l’ep New Casanova), le r’n’b (Sans toi avec Myth Syzer) ou la musique électronique (High avec Ikaz Boi et Myth Syzer) – ne s’empare de ce nouveau terrain de jeu pour reconfigurer le genre à sa sauce.
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Un jeu d’enfant terrible
Après s’être offert un galop d’essai sur le triptyque de 140 BPM (Netflix, Henny Pop, Nobu) et le luxurieux DRILL FR 5 issu de la série de morceaux de Gazo, la star du rap bruxellois se fend d’un album entièrement dédié à la drill, dont l’implacabilité drive-by tous soupçons d’opportunisme. Comme une note d’intention, le morceau d’ouverture de 140 BPM 2 emprunte le nom d’un morceau Pop Smoke (PTSD) issu de sa mixtape inaugurale Meet The Woo. Une manière, intentionnelle ou non, de rendre hommage à cette figure désormais tutélaire mais aussi d’évoluer dans le même décor, les mêmes codes et sur le même plan de réalité.
Sur 140 BPM 2, tout est, en effet, question d’absorption et d’assimilation. Comment digérer près de 10 ans de drill ? Comme pour le r’n’b ou le dancehall, la solution chez Hamza semble presque toujours intuitive, un véritable jeu d’enfant. Si l’on évacue de suite le versant quasi-spirituel, qui point ci-et-là sur certains morceaux de drill UK, que le Bruxellois peine parfois à élever (Gang Activity, Fake Friends sont moins percutants), la faculté d’Hamza à s’emparer de l’essence de la drill force l’admiration et offre au Big H un terrain de jeu idéal à ses punchlines licencieuses et belliqueuses qui ont fait une partie de son succès, ici notamment sur le triomphal Hara-Kiri en collaboration avec un Kaaris très remonté.
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Une main de fer dans un gant de velours
Amateurs du Hamza sentimental et prompt à distribuer les disquettes les plus sirupeuses, passez votre chemin. Sur 140 BPM 2, l’heure est à la démonstration de force. Produit par Ponko, Prinzly, Ikaz Boi, Hamza lui-même ou son nouveau partner in crime, Pierrari, le disque offre un écrin presque délicat à un genre qui s’embarrasse pourtant rarement du raffinement : une main de fer dans un gant de velours. Tributaire des 140 battements par minute associés à la drill qui donne leur titre à l’album, cette enveloppe confère à la nonchalance des flows d’Hamza une méchanceté insidieuse et électrisante.
Qu’il s’agisse de l’énorme Torino ou les deux morceaux d’ouverture PTSD et Keke, les morceaux de 140 BPM 2 réinvestissent tous les codes dépouillés de la drill : la Sainte-Trinité meufs, bif, règlements de comptes (saupoudrée d’un climat social délétère) et toute une galerie d’ad-libs comprenant rafales de balles, gros moteurs ou bruits de bouche plus que suggestifs. Si l’album relève plus de l’exercice de style pour le versatile rappeur, sa réussite tient à la prestation très incarnée d’Hamza. Face à la violence supposée de la drill, le Bruxellois tord le genre et lui impose un détachement presque classieux qui culmine sur Cheikh, Spider ou Don’t Tell avec la nouvelle star du rap UK Headie One. C’est là toute la maestria de ce disque : certes Hamza a retenu les enseignements d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique, mais, loin d’être une copie carbone de la drill UK francisée pour l’occasion, 140 BPM 2 fait plutôt advenir un idéal pour la drill francophone. Un mètre étalon qui n’a rien à envier à ses voisins où la brutalité et le climat anxiogène font place à une morgue triomphale à la violence sourde qui, à l’instar de l’univers science-fictionnel du disque, impulse déjà le futur du genre.
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