Un spectacle radical, ingénieux et drôle. A la mesure du texte de Shakespeare.
Le spectacle sait se faire désirer. Comme la nuit qui enveloppe le spectre du père d’Hamlet, l’obscurité de la scène contient longtemps les voix des gardes du château. C’est à un jeu avec Shakespeare et le spectateur que convie la mise en scène de François Wastiaux. A travers une multitude de strates et de clins d’œil malins et/ou loufoques, elle emporte dans un tourbillon qui fend l’espace et le temps. Hamlet apprend du spectre de son père que ce dernier a été assassiné par son frère, devenu depuis lors roi et époux de la reine. Chargé de venger ce crime, il rompt les liens qui le rattachaient au monde et sombre dans les affres de la solitude.
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Après notamment le Voyage au bout de la nuit de Céline et Les Carabiniers (d’après le film de Godard), c’est l’un des premiers textes classiques auxquels la compagnie Valsez-Cassis se confronte. Elle ne craint pas de bouleverser les conventions, témoignant d’une liberté et d’un rapport passionné et curieux au texte de Shakespeare. Les ruptures sont permanentes et les personnages passent aisément d’un code de jeu à un autre. « Je suis crevé », s’exclame Polonius assassiné par erreur, avant de s’effondrer en montrant ostensiblement qu’il fait semblant de mourir. Parfois, au contraire, le verbe résonne et les gestes précis se répondent dans un langage secret. Les personnages ont été dessinés sur mesure pour les acteurs. L’identité des dix comédiens est respectée. Chacun appartient à un monde qui lui est propre : Antiquité, Seconde Guerre mondiale, mafia, cinéma hollywoodien, renaissance… Mais cette diversité ne fait pas perdre la cohésion dynamique de l’ensemble. La scénographie de Christophe Doubliez présente avec peu de moyens une scène à dimensions variables, utilisant l’espace avec malice. Un cadre modulable et ambulant se déconstruit au fur et à mesure de la pièce. Le champ de bataille que traverse Hamlet en exil est figuré par la scène mise à nu, découvrant les coulisses au lointain. La technique est montrée, ainsi que l’envers du décor. Les rôles sont confondus : les techniciens exécutent leur travail à vue et c’est un personnage qui manipule le magnétophone. La musique de Luis Naon est un vrai partenaire du jeu. Elle accompagne chacune des entrées du roi illégitime par des sons de cors de chasse à courre, le faisant apparaître comme une bête traquée. Jimmy Hendrix ouvre la dernière partie du spectacle dans laquelle toutes les tensions vont s’exacerber. Une boîte dépliable d’où peuvent naître des espaces surprenants, une machine qui tente de s’emparer du mythe d’Hamlet et de questionner sa modernité, un désir fou de théâtre et un grand travail d’équipe, c’est ce que l’on retient de ce spectacle dont la radicalité, l’ingéniosité et l’humour sont à la mesure du texte de Shakespeare.
Clyde Chabot
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