Dès leur premier album, les Canadiens de Half Moon Run trouvent une alchimie parfaite entre le classique et le moderne, le lustré et l’aventureux, jusqu’à chasser sur les mêmes terres que Radiohead. Critique et écoute.
Un an après la mise en orbite de leur premier album Dark Eyes sur leurs terres canadiennes, les quatre de Half Moon Run sont en France, à la conquête de la Vieille Europe. Ils répondent poliment, pas de passionnante analyse, pas de discours construit autour de l’essence artistique. Ce n’est pas de la morgue mal placée, ils ne s’en foutent pas ; les jeunes gens ont choisi d’économiser leur fougue et leur énergie pour des jeux plus excitants que l’exégèse et le commentaire. Comme écrire des chansons, par exemple. Puis les faire s’envoler sur scène, où leurs concerts intenses et nerveux happent les esprits, où leur chanteur à voix voltigeuse, beau comme DiCaprio, possédé comme Jeff Buckley et romantique comme Chris Isaak, impose immédiatement un charisme magnétique.
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Ils se foutent d’autant moins de réussir qu’ils n’ont que trop goûté au saumâtre et à la douleur que peut constituer, quand on rame péniblement dans la galère financière, l’enregistrement d’un premier disque. “On essayait juste de se débrouiller seuls. On a commencé à travailler en Colombie- Britannique, d’où on vient, puis on est retournés à Montréal. On bossait la journée, des jobs pénibles, puis on filait directement au studio, où on planchait toute la nuit. Ça recommençait le lendemain. C’était épuisant, et très long, car tout était neuf pour nous.”
Tout était effectivement inédit. Devon, Dylan, Conner et Isaac ne sont pas des amis de trente, de quinze ni même de dix ans. Fraîchement débarqués de leurs bleds à Montréal, ils se rencontrent grâce à une connaissance commune. Première répétition : une chimie, un miracle opère d’emblée. Half Moon Run, collectivement, naît et découvre en quelques gestes une magie que d’autres ont mis des années à simplement envisager.
Rien de révolutionnaire, pas de refondation de la musique moderne, pas de bouleversement de l’ordre des notes ou de chamboulement du parallélisme des lignes des partitions. Une chose, pourtant, tout aussi précieuse : les quatre jeunes hommes, certains doctes musiciens de conservatoire, les autres autodidactes jouant à l’instinct, à l’oreille et aux tripes, maîtrisent et combinent ensemble tous les codes de leur domaine, savent à la fois polir leurs chansons comme des nobles classiques rock ou folk et se risquer à des échappées et circonvolutions plus aventureuses.
Ils maîtrisent les savoirs anciens sur le bout de leurs quarante doigts, citent Leonard Cohen, Dylan, les Beatles, la country ou Fleetwood Mac comme influences primordiales. Mais les évolutions plus modernes irriguent tout autant leurs veines. Les Canadiens ont ensuite suivi la route chaotique d’ados cherchant leur voie, écoutant de tout et écoutant leur temps, les Smashing Pumpkins, Nine Inch Nails… “et Radiohead”, admettent-ils volontiers.
Car si on pense, belles références, à Arcade Fire, aux Fleet Foxes, à Midlake, à Jeff Buckley, à Cold War Kids ou à leur pote Patrick Watson à l’écoute du versatile, sensible, parfois un brin convenu mais souvent magnifique Dark Eyes, ce sont surtout les vertigineuses montagnes russes de Thom Yorke et des siens que Half Moon Run réussit à dévaler, dès le premier essai. De quoi s’assurer un avenir de platine : on en mettrait notre colonne vertébrale à flamber.
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