“Chevalier Ricard”, “Voldebière”, “Audi RTT”… Pierre et Micka, les éminences grises comme la France des années 2020 de la formation rennaise, ont peut-être sorti malgré eux des tubes qui marqueront toute une génération perfusée aux aides sociales et à la bière tiède. Rencontre sans coup férir sur leurs terres bretonnes, avant leur passage sur la scène de la Boule Noire, le 4 janvier prochain, dans le cadre des Inrocks Super Club.
C’est vieux comme le monde et en même temps complètement novö. Deux types tournent en rond sur la scène du hall 3 des Trans Musicales de Rennes et racontent sur fond de cold wave pas chère leur rapport misérable à l’existence. Un quotidien fait de pizzas froides, de bière pas bonne, de rancards manqués sous les néons blafards de Pôle Emploi.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Gwendoline, formation rennaise drôle, cynique, réaliste et taciturne, nous donnait cette année “rendez-vous au PMU à 8 h du matin” dans Audi RTT, chanson jetée en pâture dans la France de Macron, devenue malgré Pierre et Micka un tube underground fédérateur. Et s’en excuserait presque.
On les retrouve dans les loges du festival, accompagnés de Maëlan, leur guitariste, Romain, aux claviers, et Flo, leur manager. En attendant de les croiser à la Boule Noire (Paris XVIIIe) le 4 janvier prochain, dans le cadre des Inrocks Super Club, aux côtés de Yoa et de Music On Hold. L’album, Après, c’est gobelet !, est attendu le 14 janvier prochain.
Quand j’étais ado, j’étais fasciné pas les clips de The Streets. Mike Skinner ne foutait rien, avait une vie de merde, mais on avait envie d’attendre le train de banlieue avec lui. Ça faisait écho à ma vie. J’ai le sentiment que votre musique peut susciter le même genre de chose chez les gens.
Micka – C’est la vie qu’on mène tous les jours. On a mis le portable dans la poche et on a filmé. Les clips se font comme ça, en tout cas.
Pierre – On passe du temps à se marrer et à trouver des phrases de merde sur notre malheur.
Micka – Enfin, malheur. Petit malheur de merde.
Pierre – Sur notre blasitude, si tu préfères.
Comment Gwendoline a-t-il commencé ?
Pierre – Il y en a un de Rennes et l’autre de Nantes. On s’est trouvé à Rennes il y a une dizaine d’années, sur un groupe de musique. On a fait de la zik en mode recherche de tremplins, tout ça. On voulait percer, quoi. À un moment, on a été totalement épuisé par cette manière de faire les choses, ça collait plus. On a passé un été tous les deux, on s’est dit qu’on allait raconter ce qu’on avait envie de raconter, sur la musique qu’on avait envie de faire, sans savoir quelle musique on avait envie de faire. On s’est juste retrouvé devant Logic Pro, en fait. Et on s’est mis à faire des prises. Parfois, il y avait des bruits de bagnole, de la rue et tout. On s’est demandé s’il fallait les garder. On racontait la vie, notre vie.
Quelque chose de très spontané et premier degré, donc.
Micka – C’est le paradoxe, parce qu’il y a quand même beaucoup de millième degré. C’est un fourre-tout de ce qu’on peut ressentir. Quand je critique un truc, je me rends bien compte que je fais pareil. On n’est pas là pour donner des leçons.
Pierre – On n’est clairement pas un groupe engagé. On est des blancs de la classe moyenne, voire en-dessous.
Le leader du groupe Hello Forever, formation californienne qui donne dans le revival hippie sixties, débarque pour féliciter le groupe : “On aurait dit deux frères diaboliques.” Le choc de deux mondes.
Pierre – On n’était pas voués à être écouté, on ne savait juste pas quoi foutre et on s’est dit que ça serait cool de passer deux semaines à tiser au bar, en écrivant des trucs.
Micka – On a fait ce truc il y a quatre ans et demi et j’ai l’impression que ça reste très contemporain.
Pierre – Bah ouais, quand on chante “Je passe ma vie à être enfermé”, on avait vu le Covid-19.
C’est une façon de dire que rien ne bouge jamais vraiment en France depuis des années ?
Pierre – Du point de vue de notre position, c’est sûr. Après, on ne fait qu’un constat désabusé. On se dit : “Putain, mais qu’est-ce qu’on fout ici ?”
Micka – On pense tous à l’écologie et à comment sauver l’humanité, on a tous envie de ça, pour avoir un avenir pour nos gosses, je sais pas. Mais on se retrouve aussi tous sur le côté pessimiste des choses : les journaux, la téloche, c’est que des mauvaises nouvelles. Le fait d’en parler, ça fait du bien.
Pierre – Je pense qu’on est là parce qu’on a un côté très “vérité crue”. On se prend pas pour des rappeurs, de toute façon on ne saurait pas faire. On n’est pas non plus Fauve, à aller trouver des arguments pour justifier notre existence.
Fauve donnait l’impression de se chercher vainement des combats à mener contre l’existence.
Pierre – C’est un peu comme des films dans le genre Les Petits Mouchoirs. On cherche à te faire chialer sur chaque morceau, on te tire les larmes tout le temps. Au bout d’un moment c’est pathétique, tu vois le processus, tu sens le truc, il n’y a plus aucune vérité et c’est pas possible pour nous.
Micka – J’ai beaucoup aimé au début, Fauve, mais au bout d’un moment, à force d’écouter les textes, je me suis dit : “J’ai affaire à quoi comme idéal de héros, là ?”
Pierre se barre, Maëlan, le guitariste, débarque : “Salut, c’est Maëlan. C’est un prénom breton.”
Ne plus penser à la façon de percer dans le milieu de la musique vous a-t-il libéré ?
Micka – Bien sûr. Tu touches le fond du truc. C’est ce qu’on a ressenti il y a quatre ans et on se l’est dit. Avant tout ça, on avait des groupes de rock. Quand on a fait Gwendoline, on n’a pas joué le jeu de la promo, et on s’est rendu compte qu’avant, on était triste. On a emmagasiné tellement de lose, à espérer, rêver, faire des choses, des tremplins, mettre du fric dans de la com, on subissait, en fait. On a fait le point sur notre vie de zikos et on s’est dit que c’était hyper triste d’essayer de grappiller des tremplins pour espérer imaginer une starification de nous-mêmes. Quand Gwendoline est arrivé, ça a mis un stop à tout ça. Finalement, on n’a pas fait de com ni rien, et on se retrouve à jouer aux Trans. On s’est dit “Putain, c’est cool pour nous”, mais en même temps, on ne peut pas revenir en arrière maintenant, dans un état d’esprit similaire à celui d’avant. Du coup, on est québlo dans l’idée de rester à la marge. Mais attention à ne pas se prendre pour des stars des années 1980.
Cette éthique de marginalité a-t-elle influencé votre musique dans sa forme ?
Romain (clavier) – C’est une histoire de contexte surtout. Ce que racontent les gars peut parler à beaucoup de gens, mais quand ils l’ont fait, ils n’avaient pas toutes ces histoires en tête.
Micka – C’est presque gênant en fait. J’ai pas envie qu’on soit les visionnaires de service. J’ai pas envie d’être le donneur de leçons.
Romain – C’est une manière d’aborder les choses de manière frontale, sans utiliser de chemins de traverse. C’est bien de dire les choses telles que tu les ressens, peu importe comment c’est perçu.
Micka – Moi, ça me gêne parfois, je veux vraiment pas qu’on donne l’impression de donner des leçons.
Romain – Vous avez fait ça sans attendre quoi que ce soit comme deux petites saucisses, et au moment où ça commence un peu à prendre de l’ampleur, je comprends que tu ressentes ça. T’as écrit un truc un jour bourré, et maintenant c’est enregistré. C’est fédérateur, c’est sûr, mais comment tu l’assumes aujourd’hui quand ça résonne dans le hall des Trans ? C’est toute la question.
Vous avez l’impression de ne plus être légitimes dès lors que votre musique se scande aujourd’hui devant un public ?
Micka – S’il y a bien un truc qui différencie Pierre de moi, c’est bien ça… Ah putain, je sais plus ce que je voulais dire par rapport à ça, c’était super pourtant [il se marre, ndlr]. Par ma personnalité, qui est vachement plus apeurée de plein de choses que celle de Pierre, je me sens moins légitime. En plus, je suis un peu introverti aussi. Du coup, quand ça prend, j’ai plus de mal à suivre.
Maëlan – C’est le truc avec le duo que tu formes avec Pierre. Lui, quand il a un truc à dire, il va le gueuler et à côté t’as Micka, plus dans la retenue, mais qui a des punchlines hyper cinglantes. C’est assez beau. C’est comme ça que j’ai adoré Gwendoline. Avant toute cette merde de Covid-19, quand ils ont sorti leur musique, ça a tourné entre tous les potes et on écoutait tous ça en trouvant que c’était génial. Pierre a toujours eu le contrôle là-dessus et Micka, plus ça avançait, plus il disait : “Les gars, va falloir arrêter la blague, ça prend trop d’ampleur”.
Micka – Ouais, moi je suis pas à l’aise, ça me fait peur, j’ai l’impression de bullshiter les gens. Le principe de jouer devant un public au sol, symboliquement, ça me terrifie.
C’est peut-être naïf, mais moi j’ai trouvé ça plutôt horizontal, justement. Pendant le concert, j’ai eu l’impression qu’il y avait une communion, les gens pigeaient le truc. On était tous dans la même galère, c’est juste que vous aviez le micro pour le dire.
Romain – En vrai, c’est un truc fédérateur. Faut rien changer.
Micka – Putain, à la vôtre alors.
Il lève son verre.
Comment s’est monté le live, d’ailleurs ?
Micka – Ça s’est construit quand Flo, notre manager, nous a poussés au cul pour le faire.
Flo – Je m’occupe d’Astropolis, un festival à Brest. Et, en hiver, le dimanche, je fais un truc qui s’appelle “Mourir à Brest”. Un truc un peu hybride, qui commence pop et finit électronique. Ils venaient de sortir un morceau, et pendant deux ans et demi, je les ai tannés pour qu’ils viennent jouer. Et pas que l’hiver d’ailleurs ! Je les ai branchés cinq fois, ils ont toujours refusé. La sixième fois, ils ont fini par accepté l’idée que Gwendoline pouvait être un groupe qui pouvait exister en live.
Micka – Ouais, qui pouvait exister tout court.
Il n’y a pas un groupe ou un artiste dans lequel t’as reconnu ta vie plus jeune ?
Micka – Radiohead, Nirvana, Pixies, j’écoutais ça comme un dingue.
T’imagines pas que Gwendoline puisse susciter le même effet d’adhésion chez un adolescent aujourd’hui ?
Micka – C’est marrant, parce que c’est à partir de là que j’ai commencé à jouer de la guitare. J’avais pas de potes au collège, je me suis dit que j’allais faire de la musique et trouver des gens qui voudraient bien être potes avec moi grâce à ça. Mais ça doit être lié à ce qu’on disait tout à l’heure : j’ai des potes parce que je fais de la musique. Je sais que c’est pas vrai dans le fond, mais cette idée est un peu restée. Quand t’es au collège, tu sais pas ce que tu fous là, alors tu fais de la musique. Mais je me vois pas susciter ça pour autant.
Tu ressembles un peu à Jonny Greenwood pourtant.
Micka – J’aimerais bien, je suis fan.
Maëlan – C’est encore là que Pierre et Micka sont différents. Pierre, il a envie de partager sa rage, faire passer le message.
Vous avez fait la première partie de Feu! Chatterton au festival Les Indisciplinés, à Lorient, c’est un gros morceau.
Maëlan – Ça a permis de confronter les publics.
Romain – C’était assez marrant de voir la réaction du public. Le début du set, on a senti que le public était peu réceptif.
Micka – Ils étaient dans l’étonnement.
Maëlan – Ils se disaient : “Mais qu’est-ce-que c’est que ça ?” Et puis à au moment, on joue un morceau qui représente une pierre angulaire dans le set, qui emmène le concert vers quelque chose de plus dark, mais aussi plus entraînant. Le public a changé d’attitude. Mine de rien, les textes de Gwendoline sont assez crus, faut savoir les recevoir dans la gueule. On a croisé des gens le lendemain qui nous ont dit que c’était de la musique “engagée”. Bah non, c’est tout le contraire. C’est pas du tout engagé.
Romain – C’est pas engagé, mais je dirais pas que c’est pas engagé non plus.
Maëlan – C’est engageant.
Romain – C’est ambigu. Il y a des choses pas politiques et plus introspectives, mais, malgré elle, la musique est politique.
Le fait que le groupe existe est en soi politique, non ?
Micka – Pierre est sans doute plus dans le politique que moi. Mais moi, j’ai pas envie de donner un caractère politique aux choses.
Maëlan – Ouais, Pierre est piquant. Il balance des choses et les gens prennent ça comme ils veulent, c’est ça qui est cool. Il veut pas enrôler les gens, il s’en fout. Dans le privé il peut avoir cette tendance, mais dans la musique de Gwendoline c’est une barrière qu’il ne franchit pas. C’est une marque de respect envers Micka aussi.
Romain – La musique de Gwendoline est là pour te dégoûter de certains trucs. Les gars constatent et racontent. Boire de la bière, c’est bien, mais c’est aussi de la merde. Boire, c’est un des thèmes des chansons de Gwendoline, c’est un truc social qui rassemble, mais ça détruit aussi, ça implique des violences conjugales, entre autres. Vos textes parlent de ça, du jour et de la nuit.
Micka – Boire, c’est cool, et en même temps c’est affreux, ça peut amener des choses. On est beau et en même temps on est des merdes.
Romain – C’est comme le morceau Voldebière, qui critique la scène underground…
Mika – Alors qu’on en fait partie.
Romain – Si on s’en tenait à l’underground, on ne ferait que des tournées de bar, il n’y aurait pas de Spotify, tout ça.
Micka – On est conscient de tous ces trucs, on s’inclut dans les critiques que l’on profère.
Propos recueillis par François Moreau
{"type":"Banniere-Basse"}