Quartier libre, un spectacle proposé par Guy Bedos et Didier Vignali, Féminin plurielles, d’après le livre de l’association Femme dans la Cité, mise en scène de Marjorie Nakache. Deux spectacles se coltinent de front la réalité sociale. Pas moins.
De fractures sociales en visites de banlieues, le théâtre semble lui aussi avoir repris du poil de la conscience d’une société à plusieurs vitesses. Seulement voilà, comme pour les hommes politiques en campagne, la suspicion sur la sincérité du propos ou l’insouciance stratégique de la démarche prennent le pas sur la réalité des spectacles et l’intérêt de la médiation par la scène. Or, après Rapt (voir Les Inrockuptibles n° 5), voici que deux nouveaux spectacles viennent nous montrer que la parole bien prise peut éclairer d’un jour nouveau la réalité.
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Quartier libre, qui va tourner en France dès la rentrée prochaine, vient de finir ses représentations parisiennes avec un succès certain. Eminemment suspect puisque proposé par Guy Bedos avec le soutien de la Fondation Agir contre l’exclusion dirigée par Martine Aubry, ce spectacle est avant tout un grand éclat de rire en provenance de Vaux-en-Velin où les jeunes protagonistes nous font partager cet art délicat de l’autoparodie, allant jusqu’à nous montrer avec talent toute la distance qu’ils conservent face à leur nouvelle condition d’acteur. Les personnages sont ces « Français Canada Dry » qu’ils décrivent avec leurs mots, sans misérabilisme. Tout y passe, y compris les sujets supposés intraitables sur une scène comme le port du voile et, au-delà, la condition des femmes immigrées arabes dans nos banlieues.
C’est tout spécialement d’elles dont il est question dans Féminin plurielles. Elles viennent des quatre coins du monde et se sont toutes retrouvées un beau matin à Stains, Cité du clos Saint-Lazare, fuyant une situation politique ou suivant un mari. Bouclées dans des appartements au « confort moderne » avec télévision, une flopée de mômes vient rapidement accentuer les décalages. Ils apprennent les contes de Grimm et la cabane à Bamako fait très vite partie des légendes.
Le metteur en scène Marjorie Nakache leur a donné la parole et en a fait du théâtre. Dans le décor, la cité n’apparaît qu’en arrière-plan, en avant-scène c’est la Méditerannée, le sable, l’eau, les couleurs vives d’un carrelage. La voix chaude et pleine de la chanteuse malienne Meriame Kouyate emplit l’espace. Chacune raconte ses espoirs, ses ficelles pour s’en sortir, ses victoires sur le mari. Bashung chante Madame rêve, une nouvelle venue au club s’inquiète du sexe de son futur enfant, si c’est une fille ?.. Ces femmes ne renient jamais leur culture d’origine,
elles la revendiquent. Elles évoquent leur passé sans apitoiement aucun, juste persuadées que ce qui compte, c’est l’avenir. A la fin du spectacle, on nous sert des petits gâteaux à la pâte d’amande tout chauds. On part avec le goût du voyage et une irrésistible envie d’aller faire un peu de couture avec Amia, Milla, Ly et toutes les autres.
Pierre Hivernat et Véronique Klein
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