Avec sa poésie évaporée et ses rocks à semelles de plomb, le nouveau Patti Smith ne séduit qu’une nostalgie décidément trop complaisante. C’était l’adolescence, le désert sexuel et notre égérie avait du poil en buisson, qu’elle exhibait en pochette. On aurait pu choisir une carrière et fantasmer sur Stevie Nicks ou Joan Baez mais, voilà, […]
Avec sa poésie évaporée et ses rocks à semelles de plomb, le nouveau Patti Smith ne séduit qu’une nostalgie décidément trop complaisante.
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C’était l’adolescence, le désert sexuel et notre égérie avait du poil en buisson, qu’elle exhibait en pochette. On aurait pu choisir une carrière et fantasmer sur Stevie Nicks ou Joan Baez mais, voilà, ce fut Patti Smith et Horses, misère de nous. Horses n’était pas un disque à entendre mais un risque à prendre : on le prit, à bras le corps, sans protection, en pleine gueule. Inutile de préciser que dans une section inouïe de notre discothèque, on aurait volontiers laissé Patti Smith se reposer en paix entre Elliott Smith et les Smiths, pour bons sévices rendus. Mais le musée n’aura pas Patti Smith. La famille sur les rails après dix ans de silence (1988 et un Dream of life assez cauchemardesque), puis le mari dans le cercueil (1996 et le bouleversant Gone again), Patti Smith ensuite renoncera. Ce sera Peace & noise (1997), un disque où l’artifice remplacera les feux d’artifice verbaux, où Patti Smith retrouve son niveau le plus bas de l’histoire : celui du frimeur Radio Ethiopia.
On s’apprêtait donc à verrouiller la discothèque avant que d’autres scories de ce calibre ne viennent sagouiner la trop belle histoire. Mais la curiosité, excitée par l’arrivée aux commandes du vigoureux Gil Norton (Pixies), réclama un sursis. Surtout que Michael Stipe était encore une fois de la fête, épaulé par la guitare toujours ahurissante de Tom Verlaine, sur l’alléchant premier single, Glitter in their eyes le meilleur single des Pretenders en vingt ans. Mais en trois chansons, les aveux d’impuissance tombent, en averse, sur les plaines moroses de Gung ho : « L’innocence a pris du plomb dans l’aile » ou « J’étais seule et je ne demandais rien dans mon petit monde ». On est effectivement autorisés à se demander pourquoi Patti Smith est redescendue sur terre, quelle urgence ou muse ont bien pu motiver Gung ho. Car visiblement évaporée dans ses égarements spirituels, Patti Smith a perdu le contact avec la tour de contrôle, laissant le rock le plus banal piloter ses mots, dans un malheureux grand écart entre la dématérialisation des paroles et la lourdeur colossale des musiques. Raidies par les rhumatismes, les chansons de ce groupe quinqua cahin-caha ne retrouvent que par éclairs souplesse et élégance ; roidie par l’arthrite, la langue même de Patti Smith mâchonne machinalement une poésie épuisée ; ankylosé, ce rock remet entre les mains de la seule électricité le soin de guérir son impuissance.
A quelques occasions, One voice, Strange messengers ou Lo & beholden, l’enthousiasme s’était pourtant réveillé aux premières écoutes, émoustillé par les guitares alambiquées du grand Lenny Kaye et quelques intonations intactes. Mais à l’arrivée, seul Libbie’s song l’unique moment où Patti Smith s’abandonne à sa meilleure compagnie depuis Gone again : la country séduit durablement, sans l’assistance médicale de la nostalgie. Un rare moment de grâce, ailleurs fusillée par la balourdise de la production. Sur disque dur d’ordinateur, Norton est un célèbre antivirus. Sur ce disque, Gil Norton est un virus.
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