Un nouveau projet de fou de Gruff Rhys, entre cours d’histoire américaine, road-trip farfelu et quête d’identité. Rencontre, critique et écoute.
Dans les années 70, Gruff Rhys n’est pas encore l’hurluberlu leader des Super Furry Animals, l’un des groupes les plus honteusement sous-estimés de l’ère britpop. Il n’est pas encore le Professeur Tournesol pop, mélodiste de génie, moitié de Neon Neon et auteur en solo des merveilleux Candylion en 2007 et Hotel Shampoo en 2011.
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Sur les traces d’une amérique galloise
Dans les années 70, Gruff Rhys est Gruffydd Maredudd Bowen Rhys, un gamin gallois élevé dans la langue “cymraeg” par ses parents militants et bercé par les vieilles histoires du cru. Son papa lui a beaucoup conté celle de John Evans, né en 1770 à Waunfawr, près de Caernarfon. La vingtaine à peine atteinte, fauché comme le houblon, il a traversé l’Atlantique pour rejoindre l’Amérique, aussi sauvage que disputée, parti à la poursuite d’une légende vivace au pays de Galles, entretenue par des historiens ou nationalistes farfelus : l’existence supposée d’une tribu amérindo-gallophone descendant en ligne directe de la troupe du prince Madoc, explorateur gallois du XIIe siècle et supposé premier découvreur des Amériques. Evidemment, Madoc n’a jamais existé, et la tribu non plus.
L’histoire extraordinaire d’Evans, ses changements d’allégeances et d’identités, son parcours courageux, ses grandioses conquêtes accidentelles, les dangers surmontés (la malaria, une tentative de meurtre…) et l’échec final à localiser la tribu fantasmée sont pourtant, eux, tout à fait véridiques. Un terreau idéal pour l’imagination fertile de Rhys qui, en 2012, s’est lancé sur la longue, chaotique et tragicomique trace du découvreur improvisé, dans ce qu’il appelle un “Investigative Concert Tour”. Le concept ? De ville en ville, accompagné d’une poupée à l’effigie de John Evans, des concerts-conférences.
“C’était très excitant : j’avais chaque jour hâte de continuer mon chemin et mon enquête, de découvrir de nouvelles choses, d’ajouter des éléments à ma présentation PowerPoint, d’interroger des universitaires, des descendants de Gallois, des gens qui avaient entendu parler de John Evans, des Amérindiens dans les réserves.”
Odyssée musicale, littéraire et visuelle
Drôle d’odyssée dont Rhys, apprenti historien mais songwriter rarement égalé, a tiré la riche matière d’American Interior. Une oeuvre multisupport, composée d’un documentaire, aussi touchant qu’hilarant, d’un livre détaillant son périple comme celui d’Evans, d’une très réussie application iPhone et, évidemment, d’un album. Un grand disque, intense et brillant.
Le pont élastique entre le terroir musical américain et les visions européennes et plus synthétiques de Rhys, jouant à saute-mouton avec les styles, passant sans prévenir de Johnny Cash – les très collantes The Whether (Or Not) ou 100 Unread Messages – à Stevie Wonder – The Last Conquistador, Lost Tribes –, d’une pop arrangée dans une ample opulence – la splendide Liberty (Is Where We’ll Be), la délirante chevauchée Iolo – à des cingleries pseudo-tribales – la fofolle Allweddellau Allweddol – ou à la noblesse d’un boisé 100 % acajou – American Interior ou Year of the Dog, que ne renierait pas Midlake. Dans son grand ensemble musical, littéraire et visuel, American Interior est une magistrale épopée pop : les péripéties fantastiques de John Evans ont, enfin, trouvé un conteur à leur hauteur.
Interview intégrale à retrouver sur les Inrocks.
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